La protection des femmes et le droit des minorités, la succession à la tête de la commission africaine de Nkosazana Zuma, la lutte contre le terrorisme, la crise burundaise, et la mise en place d’un passeport africain constituent les principaux axes qui seront débattus par les Chefs d’Etat et de gouvernements africains qui se réuniront à Kigali le 17 et 18 juillet dans le cadre du 27e sommet de l’Union africaine (UA), affirment plusieurs experts interrogés par Anadolu (Agence de Presse Turque).
Un sommet sous le signe de la place aux femmes
Se tenant sous le thème de « 2016: Année de protection des droits de l’homme, avec un accent particulier sur les droits des femmes », le sommet s’est ouvert dimanche avec la session ordinaire du Comité des représentants permanents (COREP). Il se poursuivra du 13 au 15 juillet, avec la 29ème session ordinaire du Conseil exécutif. La 27ème Session ordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union africaine clôtura ensuite le sommet, en sanctionnant par une déclaration finale les différents travaux.
Terrorisme et sécurité maritime au coeur du Sommet
« L’Afrique est plus que jamais au coeur du risque terroriste qui est en train « métastasier » les pays du Sahel. Quoique blessé mortellement, Boko Haram poursuit la diffusion de ses ondes négatives dans la région, notamment au niveau du Niger, véritable maillon faible dans la région », a déclaré à Anadolu l’éditorialiste Hichem Ben Yaïche, qui dirige les publications New African et African Business.
« Pays de transit pour les migrants et de trafic en tout genre », le Niger se trouve confronté à la double menace d’al-Qaïda (Ouest) et de Boko Haram (Sud-est). Il se distingue d’un pays comme le Tchad, « qui s’est imposé, grâce à une armée redoutable, et a réussi à sanctuariser son territoire et enrayer l’effet spirale », selon ce spécialiste de l’Afrique subsaharienne.
Ce sommet procédera ensuite, aux dernières préparations, de « l’événement organisé par la commission Paix et sécurité [de l’UA] présidée par l’Algérien Smaïl Chergui: un colloque international coorganisé par l’Etat togolais, sur la sécurité maritime en Afrique [octobre prochain à Lomé] ». Il s’agit d’une nouvelle dimension du terrorisme qu’il faudrait dès à présent prévenir, souligne Ben Yaïche.
Pour le politologue et enseignant de sciences politiques à l’Université de N’Djamena, Ahmat Mahamat Borgou, approché par Anadolu, « la question de Boko Haram constitue l’un des principaux thèmes de ce sommet, plus particulièrement la problématique du financement de la Force Mixte Multinationale (FMM), qui demeure toujours en attente, et sera mise sur la table par le Tchad et ses partenaires engagés contre le groupe terroriste ».
Quoique déjà opérationnelle dans le Bassin du lac Tchad, la FMM (regroupant le Cameroun, le Tchad, le Niger, le Nigéria et accessoirement le Bénin) demeure toujours confrontée à un certain nombre d’obstacles. « Il n’y a jamais eu d’intégration des forces : la FMM a un rôle de coordinateur, et les contingents nationaux qui portent l’écusson de la force conjointe opèrent avant tout dans leur propre pays et rendent compte à leur propre capitale », souligne un récent rapport de l’ONG International Crisis Group.
Toutefois, la question sécuritaire qui agite le continent africain se trouve intimement liée à la thématique du sommet. La résolution de la seconde sous-tend même le traitement en profondeur de la première.
« Nous savons tous que la sécurité préoccupe le monde entier mais il ne faut pas qu’elle empêche les présidents africains de diagnostiquer les facteurs du blocus de développement socio-économique comme la protection de la femme et des minorités au sein des Etats. C’est vrai qu’il faut combattre le terrorisme mais il faut aussi le faire en investissant dans le social et en garantissant la liberté des citoyens pour réduire le radicalisme dans les régions vulnérables. » a souligné Ahmat Mahamat Borgou.
Approché par Anadolu, le secrétaire général adjoint du ministère de la Communication du Tchad, Abgrene Djibrine Idriss, abonde dans le même sens. L’axe de la protection des femmes et le droits des minorités du sommet de Kigali, préoccupe bien des gouvernements, donc N’Djamena qui compte être une force de proposition à ce sujet.
« Nous ne comptons pas perdre de vue le thème de la protection des femmes et droits des minorité sur lesquels reposent le développement socio-économique du Sahel. D’autant plus que cela se trouve lié à la question sécuritaire, et c’est la raison pour laquelle nous comptons faire des propositions allant dans ce sens pendant le sommet. Nous avons travaillé avec des partenaires de la société civile et la classe politique pour asseoir des thèses solides concernant ce sujet », a déclaré le haut fonctionnaire tchadien.
Dans le sillage de la question de la protection des minorités et de son impact sur la sécurité, figure la question des défis liés à l’agenda 2063 qui oriente le continent sur « les moyens de s’enrichir effectivement des leçons du passé, de consolider les progrès en cours et d’exploiter stratégiquement toutes les possibilités qui s’offrent à court et à moyen termes, pour assurer une transformation socio-économique positive de l’Afrique dans les cinquante années à venir », selon l’Union africaine.
« La question est d’autant plus urgente que le contexte s’accompagne d’une chute du cours des matières premières. On voit, ainsi, des situations de plus en plus contrastées économiquement se développer, des crises économiques à venir, avec leurs lots de crises sociales », commente Ben Yaïche.
Un sommet dans un environnement de crises dans des pays africains
inséparables des crises sociales, les crises politico-sécuritaires, et en premier lieu celle du Burundi, seront débattues par les dirigeants africains, réunie dans la capitale du Rwanda, un pays voisin du Burundi.
« Tout le monde, y compris [Paul] Kagame, [le président rwandais], a intérêt à ce qu’il y ait des messages qui passent, dans le sens de la résolution de la crise [qui agite le pays depuis avril 2015]. La situation au Burundi peut avoir beaucoup d’influence sur le Rwanda, parce que la contagion est un risque réel », a soutenu Ben Yaïche.
Le « Passeport Africain » pour une libre circulation
Alors que l’Union Européenne (UE) fait face à une crise des plus sévères, née de la sortie du Royaume Uni, l’UA envisage un projet des plus ambitieux; l’établissement de la libre circulation sur le continent. « Le sommet donnera un coup d’accélérateur à l’intégration africaine avec le lancement du passeport africain. C’est une bonne chose mais il faut aller vite, car si l’Afrique veut faire face aux Etats-continents émergents [Chine, Inde, Russie] et aux blocs économiques et politiques occidentaux [Etats-Unis et UE], il lui faut, dès maintenant ou dans le moyen terme, faire de la libre circulation des personnes et des biens, l’uniformisation des politiques économiques et fiscales, une réalité », souligne, dans une déclaration à Anadolu Geoffroy-julien Kouao juriste et analyste politique à l’Université du Maghreb à Abidjan.
« Quelques centaines de ce passeport couleur bleu nuit seront offertes aux présidents, aux chefs de gouvernement, aux ministres des affaires étrangères et aux représentants permanents à Addis-Abeba, siège historique de l’UA. », souligne à ce titre le journal français, Le Monde.
La succession de Nkosazana Dlamini-Zuma également au programme.
Quoique considérée par certains comme « secondaire », la question de la succession à la tête de la Commission africaine de la Sudafricaine Nkosazana Dlamini-Zuma « conditionne aussi une certaine cohérence dans le fonctionnement de l’UA », selon Ben Yaïche. L’expert tunisien explique que le départ auto-annoncé de Zuma, en poste depuis 2012, sanctionne une situation devenue intenable « d’une femme dont le corps est à Addis-Abeba et la tête en Afrique du Sud », précise-t-il, faisant allusion aux ambitions politiques nationales de Zuma.
A ce titre, quelques candidatures émergent, celles de l’Équato-Guinéen Agapito Mba Mokuy, de la Botswanaise Pelonomi Venson-Moitoi, de l’Ougandaise Speciosa Wandira-Kazibwe et du Sénégalais Abdoulaye Bathily.
« Il y a cinq régions en Afrique, et une négociation très forte. L’Afrique francophone est toujours en perte de vitesse, comme on le voit au niveau de leur représentativité au sein des institutions africaines, la BAD à titre d’exemple. De même que les divisions des Maghrébins ne leur ont jamais permis d’avoir quelqu’un pour présider la commission de l’UA », a commenté Ben Yaïche, dans une allusion à peine masquée quant aux chances du Sénégalais de briguer la présidence de l’épine dorsale de l’UA.
Et de conclure, « Certes, Zuma est sur le départ. Mais comme la question de son successeur divise, la nomination risque de s’enliser, et elle serait alors appelée à assurer une transition, comme cela s’était fait par le passé ». (AA)
Source : Anadolu