Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Régionale et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique

Prof. Robert Dussey

Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Régionale et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique​

Rentrée Diplomatique 2025-2026: Allocution de de ABDERAMAN KOULAMALLAH

Monsieur le Ministre des Affaires étrangères,

Excellences, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Distingués invités,

C‘est avec un profond honneur que je prends la parole à cette rentrée diplomatique de la République Togolaise, sous l’invitation fraternelle de mon frère, le Professeur Robert Dussey, Ministre des Affaires Étrangères, de l’Intégration Africaine et des Togolais de l’Extérieur. Je voudrais saluer la clairvoyance et la pertinence de ce rendez-vous qui, au-delà de la diplomatie togolaise, contribue à nourrir la réflexion panafricaine sur les défis contemporains de notre continent.

Je voudrais surtout rendre un hommage appuyé au leadership de Son Excellence Faure Essozimna Gnassingbé, dont la vision et l’action ont donné au Togo un nouveau visage, faisant de ce pays un espace de stabilité et d’initiative au service de notre continent.

Nous nous retrouvons aujourd’hui dans un contexte mondial marqué par de profondes recompositions. Les rivalités géopolitiques se ravivent, et l’Afrique, loin d’être à la marge, se trouve au centre de ces bouleversements. Mais ce qui est nouveau, ce qui change la donne, c’est que l’Afrique elle-même s’est transformée. Elle n’est plus l’Afrique passive et silencieuse d’hier. Elle est portée par une jeunesse exigeante, consciente de ses droits, connectée aux dynamiques du monde. Une jeunesse qui dit avec force : « Nous ne voulons pas seulement hériter d’un drapeau, nous voulons hériter d’une puissance. »

Cette quête de souveraineté, nous la voyons s’exprimer partout. Elle est au cœur des changements récents au Sahel. À Bamako, à Ouagadougou, à Niamey, de nouveaux dirigeants ont émergé, portés par une opinion publique qui rejette les dépendances anciennes. Les colonels Assimi Goïta et Ibrahim Traoré, le général Tiani, bénéficient d’un soutien populaire, non pas parce qu’ils incarnent des démocraties parfaites, mais parce qu’ils symbolisent une rupture attendue. Des foules entières ont célébré le départ des forces françaises comme une victoire nationale. On peut critiquer les méthodes, mais on ne peut ignorer la signification : l’Afrique veut reprendre son destin en main.

j’en témoigne personnellement. Le 31 janvier dernier, alors que je dirigeais la diplomatie tchadienne, j’ai mené l’opération de désengagement des troupes françaises stationnées au Tchad. Beaucoup à l’étranger furent surpris par la décision du Président de la République du Tchad, le Maréchal Mahamat Idriss Deby Itno, répondant ainsi aux aspirations maintes fois exprimées par la jeunesse tchadienne. Mais ce qui nous a marqué, c’est la réaction de notre peuple. Au Tchad, ce départ a suscité une vague d’adhésion populaire et un sentiment de fierté nationale que peu avaient anticipé. Nous avons vu, ce jour-là, qu’un peuple pouvait se redresser simplement parce qu’il avait la conviction d’avoir commencé à recouvrer sa dignité. Cette expérience m’a convaincu que la marche vers la souveraineté africaine est irréversible.

Ce réveil africain survient au moment où les grandes puissances multiplient leur présence sur notre continent. La Russie a fait un retour spectaculaire, d’abord en Centrafrique, puis au Sahel, où elle associe coopération militaire et exploitation de ressources minières. Les États-Unis, eux, ont réactivé leurs vieux réflexes stratégiques: après des années de « douce insouciance », ils ont organisé un sommet à Washington en 2022 et promis 55 milliards de dollars d’investissements. Quant à la Chine, elle est désormais incontournable : plus de 200 milliards de dollars d’échanges commerciaux, des routes, des ports, des chemins de fer, mais occasionne, en contrepartie, une dette africaine qui suscite des inquiétudes.

l’Honorable KOULAMALLAH Abderaman, Ancien ministre des Affaires étrangeres du Tchad, Sénateur 

La France, pour sa part, traverse une crise profonde en Afrique. Contestée dans le Sahel, obligée de se retirer du Mali, du Burkina Faso, du Niger, puis du Tchad, du Sénégal et de la Côte-d’Ivoire, elle a perdu en quelques années une présence militaire qu’elle considérait comme structurante. Et il appartient donc à Paris de repenser sa politique africaine sur de nouvelles bases de respect mutuel.

À côté de ces acteurs historiques, de nouveaux venus avancent. La Turquie a ouvert plus de quarante ambassades en quinze ans, Turkish Airlines dessert plus de soixante villes africaines, et ses drones Bayraktar sont désormais utilisés en Éthiopie, au Niger ou au Burkina Faso. Les Émirats, le Qatar et l’Arabie Saoudite investissent dans nos ports et nos terres agricoles. L’Inde et le Brésil cherchent à renforcer leur présence. Tous regardent vers l’Afrique parce qu’ils savent que notre continent concentre l’essentiel des ressources stratégiques du futur : cobalt, lithium, uranium, pétrole, gaz. La République démocratique du Congo fournit à elle seule 70 % du cobalt mondial, indispensable aux batteries électriques. Le Niger, quant à lui, détient 5 % de l’uranium mondial, tandis que le Zimbabwe est l’un des plus grands producteurs de lithium. Il va sans dire que celui qui contrôle ces ressources contrôle l’avenir énergétique et technologique du monde.

Mais au-delà des richesses, un autre enjeu attire ces puissances : la sécurité. Selon l’ONU, 43 % des victimes du terrorisme mondial se trouvent en Afrique, principalement dans le Sahel. C’est un drame pour nos populations, mais c’est aussi devenu un marché. La Russie fournit 40 % des armes vendues au continent. La Turquie et la Chine progressent rapidement. Trop souvent, nos insécurités sont amplifiées, sinon instrumentalisées, par la rivalité des puissances étrangères.

Excellences, Mesdames et Messieurs, Si nous voulons véritablement parler d’autonomie stratégique, il nous faut d’abord provoquer une révolution dans nos mentalités et dans notre manière d’aborder le développement. Car il ne s’agit pas seulement de proclamer notre souveraineté, mais de trouver les voies stratégiques qui permettent d’en tirer parti concrètement.

Nous devons investir massivement dans notre avenir. Cela suppose de consacrer au moins 5 % de notre PIB à l’éducation et 1 % à la recherche et à l’innovation, afin de donner à nos jeunes les outils pour être les acteurs de la révolution numérique et technologique. Cela suppose aussi de développer une infrastructure panafricaine de calcul et des applications d’intelligence artificielle adaptées à nos réalités : santé, agriculture de précision, gestion climatique, langues africaines.

L’exemple de la Corée du Sud est à cet égard éclairant : en 1955, ce pays avait un PIB inférieur à celui de la plupart des pays africains, il manquait de tout, il sortait d’une guerre meurtrière. Pourtant, par des choix stratégiques décisifs, en misant sur l’éducation, le travail, la discipline collective et l’innovation technologique, il est passé du statut de pays agricole pauvre à celui de première puissance exportatrice d’Asie et figure aujourd’hui parmi les nations les plus avancées technologiquement. Cet exemple doit nous inspirer : rien n’est impossible à un peuple qui se fixe une vision claire et qui s’y engage avec cohérence.

En Afrique, ce qui fait défaut, ce ne sont pas les ressources ni les talents, mais la capacité de faire des choix stratégiques partagés et durables.

Nous parlons beaucoup de l’Union africaine, de ses visions et de ses programmes, mais il faut avoir le courage de dire que nous en restons trop souvent au protocole. L’Agenda 2063 est rempli d’ambitions, mais il peine à devenir une feuille de route appliquée. Trop de comités régionaux se superposent aux institutions de l’Union africaine sans réelle coordination, et au lieu de bâtir une puissance collective, nous entretenons la dispersion et l’inefficacité.

Pire encore, il existe entre nos États de profondes dissensions politiques. Certains pays s’enlisent dans des conflits qui paralysent toute intégration régionale. D’autres refusent d’engager des processus démocratiques crédibles, privant leurs peuples de la confiance et de la stabilité nécessaires au développement. Comment envisager sérieusement une stratégie continentale de développement quand plusieurs de nos nations avancent en ordre dispersé, avec des gouvernances fragiles et des économies minées par l’instabilité ?

Ces contradictions apparaissent comme des boulets que nous traînons. Devons-nous alors attendre d’autres générations pour que l’Afrique assume enfin son destin ? Ou faut-il, dès aujourd’hui, que surgisse une génération de véritables révolutionnaires, non pas des révolutionnaires de slogans, mais des révolutionnaires de la gouvernance, du travail, de la rigueur et du courage politique ?

Ce sursaut est indispensable. Car si nous ne parvenons pas à transformer l’Union africaine en un instrument efficace, pragmatique et crédible, nous continuerons à rester prisonniers de tutelles déguisées et de dépendances extérieures. L’unité politique de notre continent ne peut pas être une utopie reportée à demain : elle doit être le socle de nos choix stratégiques dès aujourd’hui.

Mais sans souveraineté alimentaire, aucune politique n’est viable. Nous devons irriguer 5 millions d’hectares, réduire de 50 % nos importations de céréales en cinq ans, sécuriser les revenus paysans par des assurances adaptées et réduire les pertes post-récolte à moins de 10 %. Nos richesses naturelles doivent, quant à elles, être vendues à leur juste prix et transformées sur le continent. L’objectif doit être clair : transformer localement 50 % du coton, 40 % du cacao et 60 % du lithium d’ici cinq ans.

Enfin, il n’y aura pas d’autonomie stratégique sans une démocratie réelle, assurant l’alternance et le respect du suffrage du peuple souverain. Jamais un pays n’a pu se développer durablement sans la confiance de son peuple.

C’est pourquoi je propose que Lomé accueille prochainement une Conférence panafricaine pour un Pacte de Lomé qui se veut une initiative africaine qui s’inscrit dans le prolongement de l’Agenda 2063 et de la ZLECAf. 

Prof Robert DUSSEY, Ministre des Affaires Étrangères du Togo

En effet ces cadres ont fixé de grandes ambitions pour l’avenir du continent, mais il manquait, à notre sens, un instrument plus concret et contraignant pour transformer cette vision en résultats mesurables et à court terme. L’idée du pacte est de combler ce vide en fixant des engagements précis, assortis d’objectifs chiffrés et de délais rapprochés, dans des secteurs stratégiques tels que l’éducation, la recherche, l’énergie et l’intégration économique.

Le Pacte de Lomé se veut ainsi un outil de transformation africaine et aura pour vocation de réunir États, institutions, société civile et jeunesse autour d’engagements concrets : éduquer avec 5 % du PIB, innover avec 1 % pour la recherche, irriguer 5 millions d’hectares, transformer 50 % de nos matières premières localement, et garantir la démocratie. Ce serait un contrat collectif, une feuille de route claire, pour montrer au monde que l’Afrique refuse de passer d’une tutelle à une autre et qu’elle prend enfin son destin en main.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Notre continent ne doit pas seulement être fier de ses richesses et de sa jeunesse. Il doit aussi être exigeant envers lui-même. Nous devons parler d’une seule voix, agir ensemble, tirer profit des rivalités mondiales, mais surtout, nous devons nous transformer de l’intérieur. C’est à ce prix que l’Afrique ne sera plus seulement l’objet des rivalités internationales, mais une puissance souveraine, moderne et incontournable.

Avant de conclure, permettez-moi, Mesdames et Messieurs, en m’exprimant ici à Lomé, d’évoquer la mémoire d’un grand fils de ce pays, qui fut aussi un grand serviteur de l’Afrique : Edem Kodjo. Ancien Secrétaire Général de l’OUA, ancien Premier Ministre du Togo, Edem Kodjo a marqué son époque par son engagement constant en faveur de l’unité et de la dignité africaines. Intellectuel, homme politique et visionnaire, il a rappelé dans ses écrits comme dans ses actes que le panafricanisme n’est pas une utopie, mais une exigence historique.

Mme Coumba D. Sow, Représentante du système des nations unies au Togo

Permettez-moi enfin d’exprimer ma profonde gratitude aux autorités togolaises, et en particulier à mon frère le Professeur Robert Dussey, pour l’honneur qu’elles m’ont fait en m’invitant à prononcer cette conférence inaugurale de la rentrée diplomatique.

Je mesure la responsabilité qui m’incombe en prenant la parole ici, à Lomé, terre de dialogue et de panafricanisme.

Puissions-nous, ensemble, bâtir une Afrique fidèle à la mémoire de ses grands hommes, mais tournée résolument vers l’avenir, une Afrique qui offre à sa jeunesse non pas des promesses différées, mais des horizons concrets de dignité, de prospérité et de liberté.

Je vous remercie.

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