Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Régionale et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique

Prof. Robert Dussey

Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Régionale et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique​

Thème : « La Conférence de Londres, 125 ans plus tard : le panafricanisme et le dialogue sur les réparations »

Discours de S.E. Professeur Robert DUSSEY

Vice-chancelier de la School of Oriental and African Studies, Université de Londres ;

L’honorable Madame Bell Ribeiro-Addy, membre du Groupe parlementaire multipartite pour les réparations en Afrique et envoyée spéciale pour les relations Royaume-Uni – Ghana ;

L’honorable Diane Abbott, députée ;

Excellences, Ambassadeurs des pays africains et caribéens accrédités au Royaume-Uni, présents ici aujourd’hui ;

Mesdames et Messieurs, membres de la communauté universitaire ;

Mesdames et Messieurs, intervenants ;

Mesdames et Messieurs de la diaspora africaine ;

Mesdames et Messieurs d’ascendance africaine ;

Distingués membres des organisations de la société civile ;

Mesdames et Messieurs des médias et du secteur culturel ;

Mesdames et Messieurs, étudiants ;

Invités de marque,
Mesdames et Messieurs,
C’est avec déférence et un esprit de responsabilité historique que je prends la parole en ces lieux empreints d’histoire pour, tout d’abord, exprimer ma sincère gratitude à Madame Zeinab Badawi, Présidente de l’Université SOAS, pour les facilités accordées qui ont permis la parfaite organisation de cette conférence ; ensuite, pour m’incliner devant la mémoire de nos illustres prédécesseurs ; et enfin, pour féliciter les jeunes et les moins jeunes ici présents, qui maintiennent vivante la flamme du panafricanisme.

Distingués participants,
Mesdames et Messieurs,
Je n’ai pas coutume d’adhérer aux rituels souvent symboliques des commémorations. Mais se soustraire à ce rituel, qui prend la forme d’un devoir de mémoire envers l’événement qui s’est tenu ici du 23 au 25 juillet 1900, reviendrait à minimiser la portée de l’engagement des pionniers du panafricanisme, ainsi que l’importance de leurs sacrifices et de leurs luttes pour la dignité des Africains et des Afrodescendants.

En effet, il y a 125 ans, des figures visionnaires se sont réunies ici, à Londres, pour réfléchir à l’avenir de l’Afrique et de ses peuples, dispersés à travers le monde par les aléas de l’histoire. Leur vision était claire : unir les peuples africains pour faire face au racisme exacerbé, à l’exclusion et à l’oppression subis par les Africains et les personnes d’ascendance africaine.

Ces pionniers du panafricanisme ont ouvert la voie, au péril de leur vie et de leur liberté, pour nous léguer un héritage et un chemin clair vers le triomphe d’idéaux et de valeurs qui conservent tout leur sens et leur pertinence dans le cadre de la lutte que nous menons encore aujourd’hui au nom de l’Afrique. Londres nous rappelle la force de nos liens historiques, notre capacité à remporter de grandes victoires lorsque nous sommes unis, et l’impératif de poursuivre, malgré les obstacles et les dangers, le combat pour la justice et l’équité en faveur des peuples d’Afrique et de sa diaspora.

Depuis 1900, un long et difficile chemin a été parcouru, jalonné de défis, de sacrifices et d’une immense résilience. Certaines victoires majeures ont été remportées. Mais la victoire décisive sur l’injustice historique reste à conquérir. En effet, nous ne pouvons pas nous satisfaire de la fin apparente de l’esclavage et de la colonisation comme s’il s’agissait de l’aboutissement de notre lutte.

L’esclavage, la déportation et la colonisation n’auraient jamais dû exister dans l’histoire de l’humanité. Et puisque ces atrocités ont eu lieu, l’histoire doit être reconstruite, restaurée, réhabilitée et réparée. Des crimes graves et effroyables ont été commis pendant les longs siècles de l’esclavage et du colonialisme, et le silence ne peut être la seule réponse à l’indicible, au crime et à l’ignominie.

Distingués participants,

Mesdames et Messieurs,

Au fil des décennies, les Congrès panafricains se sont succédé et n’ont cessé de réaffirmer les revendications légitimes des peuples africains pour plus de justice et d’équité. De Paris en 1919 à Accra en 1958, en passant par Dar es Salaam en 1974, chaque rassemblement a renforcé la détermination des peuples africains à exiger la fin des injustices historiques.

Ainsi, sous la direction de William E. B. Du Bois, le premier Congrès panafricain a appelé à la fin de la domination coloniale et du racisme institutionnalisé, et a exigé de meilleures conditions de vie pour les Africains et les Afrodescendants. Aux congrès de 1921, 1923 et 1927, les revendications étaient principalement orientées vers une transition progressive et l’autonomie. Lors du Congrès de Manchester en 1945, un tournant décisif a été marqué avec l’appel direct à la décolonisation et au droit des peuples africains à l’autodétermination. Cet appel solennel a contribué à la vague de décolonisation des années 1950 et 1960, suivie de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1963. Le Congrès de Dar-es-Salaam de 1974 a, à sa manière, contribué à renforcer les liens entre les États africains indépendants et la diaspora.

Mais ces quelques avancées historiques n’ont pas permis de lever les obstacles à la question des réparations, qui reste entravée par la volonté injustifiée de certains pays de faire taire tout débat sur le sujet, voire d’empêcher tout dialogue à ce propos.

Les congrès de Kampala en 1994 et de Johannesburg en 2014 ont toutefois permis de remettre la question des réparations pour l’esclavage et la colonisation au premier plan. Mais ces préoccupations ont été reléguées au rang de monologues africains par ceux à qui elles étaient adressées.

Il nous est désormais clair que la volonté de reconnaître et de réparer les torts du passé a quitté le camp de nos interlocuteurs. Certains pays, jadis acteurs de l’esclavage et de la colonisation, ont choisi d’essuyer leurs pieds et leurs mains encore tâchés du sang et de la sueur des fils et filles d’Afrique avec le chiffon de l’oubli et du mépris.

Il doit également leur être clair que ni le temps ni le mépris ne viendront à bout de notre détermination à obtenir réparation. Notre douleur est vive ; notre attente est inébranlable et irréversible. Tant que ces blessures de l’histoire resteront ouvertes, notre soif de justice ne sera pas étanchée.

Le temps n’est l’allié de personne en cette matière. Il est dans l’intérêt de tous de travailler ensemble pour éviter que cette dette envers les peuples africains ne soit léguée aux générations futures.

Pour sa part, mon pays, le Togo, est résolument engagé dans une démarche de réparation, de réconciliation avec le passé et pour l’avènement d’un monde meilleur. Nous sommes profondément convaincus que l’humanité et l’équité sont indivisibles, et que l’avenir des relations entre nos peuples ne peut se construire que sur la base de la vérité et de la justice.

C’est dans cet esprit que, sous le leadership de S. E. Faure Essozimna GNASSINGBÉ, Président de la République togolaise, nous avons proposé – et obtenu – que l’Union africaine (UA), notre organisation continentale, proclame la décennie 2021-2031 comme la « Décennie des racines africaines et de la diaspora africaine ». L’UA a ensuite confié à la République togolaise l’organisation du 9e Congrès panafricain, prévu au cours du second semestre de cette année 2025.

Avant même l’Union africaine, qui a retenu comme thème de l’année 2025 : « Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine à travers les réparations », mon pays a été à l’initiative de la décision historique prise à l’unanimité par les Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union africaine, le 16 février, visant à qualifier l’esclavage, la déportation et la colonisation de crimes contre l’humanité et de crimes de génocide contre les peuples africains.

Ces initiatives et projets audacieux ne sont qu’un prélude aux combats à venir pour garantir que nos descendants ne connaissent pas les mêmes humiliations, les mêmes tourments et le même mépris que nos ancêtres ont subis, et que nous continuons à subir sous d’autres formes. Mais ces combats ne pourront être remportés que si nous sommes forts, unis et déterminés.

Comme l’a si bien dit notre illustre prédécesseur George Padmore : « L’Afrique doit parler d’une seule voix. » Il n’y a pas plusieurs peuples africains. Il n’y a qu’un seul peuple africain, où qu’il vive et quelle que soit sa nationalité. Notre identité africaine — et j’ajouterais, notre identité panafricaine — doit être le fondement de nos relations et la force motrice de notre détermination inébranlable.

Distingués participants,
Mesdames et Messieurs,

Le monde traverse des bouleversements profonds et inédits. Il est temps de solder les comptes du passé. Le moment est venu d’engager un dialogue, sans rancune ni haine, sur les voies d’une réconciliation avec notre histoire.

Le thème de la rencontre d’aujourd’hui, « La Conférence de Londres, 125 ans plus tard : le panafricanisme et le dialogue sur les réparations », est plus qu’évocateur. En effet, à mes yeux, c’est le moment opportun pour initier un dialogue véritable, sincère et respectueux sur les crimes commis contre les peuples africains et sur les meilleures manières de les réparer.

Le passé nous a dressés les uns contre les autres ; le présent nous permet de coexister. Saisissons ce moment historique pour préparer un avenir dans lequel nous vivrons en harmonie et en paix. Le dialogue, j’en reste convaincu, demeure l’unique outil capable de nous permettre de bâtir cet avenir réconcilié avec le passé.

J’en appelle donc à nos partenaires occidentaux afin qu’ils abandonnent le déni et le mépris, et qu’ils entament enfin les discussions sur cette exigence de réparation, si chère à nos peuples et à nos nations.

Distingués participants,
Mesdames et Messieurs,

Que ce soit en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, dans les Caraïbes, en Afrique ou ailleurs, la question des réparations est aujourd’hui au cœur des revendications des peuples spoliés, réduits en esclavage, déportés ou colonisés.

Les excuses et les regrets ne réparent pas le tort. Le moment est venu de passer de la rhétorique aux actions concrètes de réparation et de réhabilitation. L’esclavage, la déportation et la colonisation ne sont pas de simples chapitres dans les livres d’histoire. Ce sont des crimes contre l’humanité et des génocides qui doivent être reconnus et réparés.

Le dialogue que nous appelons de nos vœux ne verra pas le jour sans mobilisation ni détermination. Comme vous le savez, il n’y a rien de plus difficile à convaincre qu’une personne ayant décidé d’avance de ne jamais céder à la logique d’un argument. Nous devons faire preuve d’imagination et de résilience dans ce combat. Chacune de nos rencontres doit être une occasion de nous ressourcer et, surtout, de progresser concrètement dans la mise en œuvre de notre agenda.

Londres, aujourd’hui, incarne le renouveau de notre engagement inébranlable. Lomé, demain, sera le moment des résolutions concrètes.

Distingués participants,
Mesdames et Messieurs,

Le 9e Congrès panafricain, qui se tiendra en décembre prochain à Lomé, au Togo, sur le thème :
« Renouveau du panafricanisme et rôle de l’Afrique dans la réforme des institutions multilatérales : mobiliser les ressources et se réinventer pour agir », doit être une occasion de faire progresser l’agenda des réparations et de repenser la place de nos États dans la gouvernance mondiale.

Comme l’a souligné Cheikh Anta Diop, la véritable réparation du colonialisme ne se résume pas à une compensation financière, mais exige la restauration de la souveraineté africaine, la décolonisation des esprits, ainsi que la renaissance culturelle et scientifique du continent.

Je tiens à vous assurer que le Togo, sous le leadership du Président de la République, S. E. Monsieur Faure Essozimna GNASSINGBÉ, qui a toujours défendu une approche renouvelée des relations interétatiques fondée sur le respect, le dialogue et la coopération entre les nations, fera de cet événement historique majeur une occasion de réaffirmer notre souveraineté et notre dignité de peuples debout et fiers.
Ce sera également une opportunité de débattre d’approches réalistes, pragmatiques et concrètes à adopter pour faire progresser de manière décisive notre agenda commun.

Je vous remercie.

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