Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Africaine et des Togolais de l'Extérieur - Togo
NĂ©gociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique

Prof. Robert Dussey

Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Africaine et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique​

Nouveau Roman: Le bouc

Ainsi commence Le Bouc, ou prĂ©cisĂ©ment, l’histoire du bouc, dĂ©roulĂ©e linĂ©airement et chronologiquement sur 170 (si nous nous en tenons exclusivement Ă  la narration des actions), et rĂ©partie en quatre chapitres dont les titres sont explicitement informatifs :

  • Entre la vie et la mort
  • L’amour prĂ©coce
  • Le VIĐť
  • La rencontre divine

Seulement, du début à la fin du récit, il n’a jamais été question d’un bouc quelconque compris par vous et par moi comme le mâle de la chèvre, un animal ruminant dont je ne vous ferai pas un dessin.

En réalité, il s’agit essentiellement du récit de la vie de Koné, fils unique de Christopher et de Christelle.

Rien que ça ?

Quel intĂ©rĂŞt ?

 Allait-on s’écriĂ© si une note de lecture de Bouc s’en tenait uniquement Ă  cette observation.

Seulement, il s’agit d’une vie trop courte (puisque KonĂ© sera emportĂ© dans la quinzaine par le VIĐť-Sida) ; d’une vie de dĂ©bauche et de vagabondage sexuel ; d’une vie jalonnĂ©e de dĂ©boires pour Christelle, qui perdra son mari trop tĂ´t et dans des conditions tragiques), jusqu’à sa prise de conscience du sens de sa vie grâce Ă  sa rencontre avec le divin Ă  travers les saintes Ă©critures de la Bible.

Ainsi, le lecteur se rend vite compte que dans le contexte de ce rĂ©cit, qui se polarise essentiellement sur KonĂ©, les autres personnages, Ă  la limite ne jouent que des rĂ´les secondaires, la vie de KonĂ©, durant sa courte existence rĂ©pond Ă  l’image que reflète le Bouc par rapport Ă  ses comportements sexuels : il ne se maĂ®trise pas, il est plutĂ´t soumis Ă  ses pulsions sexuelles. Traiter quelqu’un de bouc n’est pas un compliment, du moins dans l’espace Guin –Mina et Adja-Tado auquel j’appartiens. Contrairement au « coq » qui connote, une fiertĂ©, une manière d’être du mâle dominateur.  Un « Gbogboè Atrikui, Â» enclin Ă  l’inceste, n’est nullement une rĂ©fĂ©rence positive comme pourrait l’être un Don juan par exemple. C’est de l’insulte. Sans oublier son odeur très forte (une puanteur) qui signale sa prĂ©sence de loin. Le bouc symbolise donc un ostracisme total dont la rĂ©intĂ©gration du corps social au corps social est conditionnĂ©e par sa castration qui met fin Ă  sa forte odeur, (ou plutĂ´t l’attĂ©nue), sans nĂ©cessairement discipliner son comportement.

Ce faisant, l’auteur assimile son personnage à un animal, le bouc (au sens le plus trivial de la perception qu’on pourrait avoir de cet animal). Ce qui induit que l’une des intentions, (si ce ne sont pas des obsessions) de Robert DUSSEY serait didactique.

L’humain doit pouvoir dominer ses pulsions et se discipliner. Le Bouc pourrait à cet effet être lu comme une critique sociale qui interpelle non seulement les parents quant à la bonne éducation de leur enfant (on note un certain laxisme chez Christelle dans l’éducation de son fils unique Koné, parce que, orphelin, elle voudrait le ménager), mais aussi tous les partenaires de l’éducation qui avaient, à un moment donné, démissionné devant leur responsabilité. D’ailleurs, le président de l’association des parents d’élèves du collège de Koné a reconnu leur part de responsabilité suite au malaise instauré dans le collège lorsque des cas de tuberculose ont été cliniquement dépistés dans l’établissement.

Le roman pourrait aussi ĂŞtre lu comme une tentative de rĂ©ponse Ă  la question du Mal. Ainsi, comme dans La Peste de Camus, la maladie se dĂ©cline parfois comme la manifestation du Mal dont l’homme est parfois l’auteur, parfois la victime. Toutefois la chute de l’homme, son renvoi de l’Eden consĂ©cutif au pĂ©chĂ© qu’il a commis ne serait pas irrĂ©versible, le rachat est possible par la piĂ©tĂ©, condition nĂ©cessaire et suffisante du salut. Dès lors, le mal biologique, par la modulation du thème, prend une amplitude mĂ©taphysique. Cela rappelle l’analogie assimilatrice faite par les anciens Grecs entre les paronymes « soma Â» (le corps) et « sama Â» (la prison). En effet, selon cette conception que les kabbalistes Ă©tudient dans leur parcours initiatique, la chute de l’âme dans le corps correspond certes Ă  une rĂ©gression sur tous les plans et expose l’homme aux vices : ici la luxure qui règne dans le milieu scolaire et dont KonĂ© en est la victime principale. Innocent ou coupable ? se demanderait-on. Rappelons tout de mĂŞme qu’à sa venue au monde, au regard de la sĂ©rie de malheurs qui s’en est suivie, « les sages de la ville, attachĂ©s aux symboles et Ă  la tradition dont ils dĂ©tenaient seuls le secret, Ă©taient dĂ©jĂ  pessimistes quant Ă  l’avenir de cet enfant, parce qu’à sa naissance il a Ă©tĂ© question de la visite inopinĂ©e des oiseaux sorciers bien identifiĂ©s qui avaient rodĂ© nuitamment dans les alentours Â» (p.29). On est en pleine conception du monde fondĂ©e sur la capacitĂ© de percevoir le surnaturel dans le naturel. Certains parleront des religions ou croyances endogènes.   

Or, s’il est possible Ă  tout homme de se dĂ©faire de la prison par la l’exercice de la raison et la pratique la vertu, celui-ci (KonĂ©) est-il capable d’aller contre la volontĂ© des dieux ? On pourrait rĂ©pondre que c’est en toute conscience et en toute volontĂ© qu’il a, en moins de trois ans et Ă  moins de quinze ans d’âge forniquer avec Bella, Christine, RĂ©gine, Lucie, Kadi, Florentine, Alice, Akissi, sans compter les coups isolĂ©s d’un soir. On comprend d’ailleurs que KonĂ© porte avec fiertĂ© son surnom de « Doyen Â» Ă  lui attribuĂ© par ses congĂ©nères. Dans cette logique sa fin tragique et prĂ©maturĂ©e serait de l’ordre de la fatalitĂ©, peut-ĂŞtre…

Mais Robert DUSSEY qui n’attend pas nous simplifier la rĂ©flexion va nous introduire sur un autre champ : celui du christianisme. Aussi, le dernier chapitre du roman, « La rencontre divine Â» est-il structurĂ© par les Ă©changes entre Christelle et le Pasteur. Ce chapitre se prĂ©sente comme un affrontement, un conflit idĂ©ologique qui connaitra son point d’inflexion, son paroxysme, par la rĂ©volte de Christelle face Ă  une certaine mauvaise foi de Dieu, qui rappelle l’empoignade verbale entre le Docteur Rieux et le Père Paneloux dans La Peste face Ă  l’agonie d’un enfant malade de la peste. L’homme de Dieu justifiant l’épidĂ©mie comme une sanction divine pour les pĂ©chĂ©s des hommes.

« Car moi, l’Éternel ton Dieu, je suis un Dieu jaloux qui punit l’iniquitĂ© des pères sur les enfants jusqu’Ă  la troisième et la quatrième gĂ©nĂ©ration de ceux qui me haĂŻssent ». Exode 20.5

Seulement, ici, contrairement au roman de Camus, l’homme de Dieu a rĂ©ussi Ă  convaincre Christelle qui « est dĂ©sormais dĂ©livrĂ©e de sa rĂ©bellion contre Dieu Â»

Par ailleurs le lecteur du Bouc, Ă  la lecture du dernier chapitre ne peut s’empĂŞcher de s’interroger sur les convictions religieuses de l’auteur. En effet, une lecture facile du roman, victime des Ă©lans du christianisme qui saturent l’argumentaire du Pasteur pourrait vite conclure qu’il s’agit d’une profession de foi de l’auteur qui se rappelle ses cours de ThĂ©ologie fondamentale et de ThĂ©ologie dogmatique au sĂ©minaire. Une sorte de Cahier d’un retour au pays natal. Et pourtant, on est vite dĂ©menti puisque l’extrait du premier chapitre lu Ă  l’ouverture de mes propos, qui dans l’ordre des principes de la narration relèverait de l’anachronie narrative, induit que KonĂ© est un personnage prĂ©destinĂ© comme dans les tragĂ©dies classiques et dans les religions dites endogènes : les signes (ou les prĂ©sages ) de la nature qui annoncent sa naissances, les diffĂ©rents obstacles qui vont jalonnĂ©s le processus de son accouchement ( je vous laisse les dĂ©couvrir) et qui vont culminer Ă  la mort  tragique de sa tante, Joliota, la petite sĹ“ur de son père, le dĂ©cès de son père par noyade… 

Autant d’annonces que viendra confirmer la vie de débauche de Koné et qui va le conduire à la mort. Ce qui ne répond pas toujours aux normes du Christianisme. Même s’il est vrai que le recours aux thèses du jansénisme pourrait nous autoriser à supposer que Koné est un chrétien à qui la grâce a manqué, comme Sartre le disait de Phèdre. Cela relève d’un autre débat.

En somme, le traitement du personnage de KonĂ©, sur le plan idĂ©ologique Ă©chappe au prisme rĂ©ducteur des canons d’une religion spĂ©cifique. Certains pourraient convoquer un quelconque syncrĂ©tisme religieux. Libre Ă  eux. Cela n’enlèvera rien Ă  la qualitĂ© littĂ©raire du Bouc, plutĂ´t sĂ©duisant (mĂŞme si le bouc est rĂ©pugnant dans la rĂ©alitĂ©) : un rĂ©cit linĂ©aire Ă  focalisation zĂ©ro par un narrateur omniscient qui facilite la comprĂ©hension des sĂ©quences dans l’ordre chronologique ; un style simple qui correspond au niveau supposĂ© des personnages, rendant par lĂ  les faits «  rĂ©alistes Â», mĂŞme si au niveau du lexique quelques mots savants arrivent Ă  dĂ©jouer l’attention de l’auteur, trahissant sa formation universitaire ; le recours aux techniques d’attente qui mettent le lecteur en haleine, etc.     

Finalement, pour moi, Le Bouc est un roman de maturitĂ© littĂ©raire de Robert DUSSEY en texte de fiction. L’essayiste n’a plus rien Ă  dĂ©montrer. Le Bouc fait Ă©cho Ă  La Vie sans vie, son premier roman paru en 2000 qui reprend le thème de son premier ouvrage, L’Afrique face au Sida, publiĂ© en 1996.  

Mais si les prĂ©occupations de l’auteur n’ont pas variĂ© (comment lutter efficacement contre le mal que symbolise le VIH-Sida ?), sa vision n’est pas pour autant dĂ©sespĂ©rante. C’est pourquoi Le Bouc finit sur une note d’espoir : lecture de la page 177.

Le Bouc serait-il une rĂ©Ă©criture actualisĂ©e de La vie sans vie ?

Guy K. MISSODEY

Prof. de Lettres, Critique littéraire

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