Discours d’ouverture de la Coordonnatrice résidente des Nations Unies : Madame Coumba D. Sow
Excellence M. le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération, de l’Intégration Africaine et des Togolais de l’Extérieur, Professeur Robert Dussey,
Excellence M. Joseph Kokou Koffigoh Ancien Premier ministre de la République togolaise,
Excellence M. l’ambassadeur de la République du Niger, Doyen du corps diplomatique,
Excellences mesdames et messieurs les ambassadeurs, consuls et consuls honoraires,
Mr le Vice-Président de la Banque Ouest Africaine de développement représentant le Président,
M. le Secrétaire général du Ministère des affaires étrangères,
Distingués chefs des organisations internationales, chers partenaires techniques et financiers,
Mesdames et messieurs les cadres du ministères des Affaires étrangères,
Chers chefs d’agence et collègues du Système des Nations Unies,
Mesdames et Messieurs,
C’est un privilège pour moi de prendre la parole devant cette auguste assemblée de femmes et d’hommes qui incarnent l’art noble qu’est la diplomatie.
C’est aussi une responsabilité de prendre la parole pour réfléchir avec vous sur une question essentielle : comment l’Organisation des Nations Unies 80 ans après peut continuer à jouer son rôle dans un monde en perpétuelle évolution ?
Permettez-moi, à l’entame de mon propos, au nom du Secrétaire général des Nations Unies, Mr Antonio Guterres, de remercier le Président du Conseil, Son Excellence M. Faure Essozimna Gnassingbé, l’ensemble du gouvernement et le peuple togolais, pour leur accueil en cette terre d’hospitalité depuis 1961 année d’ouverture du premier bureau d’une agence des Nations Unies au Togo en l’occurrence l’OMS. 64 années de présence croissante et ininterrompue. 65 ans que le Togo est pays membre.
Je vous remercie M. le ministre de nous avoir fait de la place dans ce cadre qu’est le Club Diplomatique de Lomé, pour célébrer les 80 ans des Nations Unies. C’est une autre preuve de votre hospitalité et de votre soutien. Les Nations Unies sont fières d’être votre partenaire sur la voie de l’optimisation des ressources du pays. Qu’elles soient humaines, financières, sociales, culturelles, touristiques, environnementales pour un développement durable ne laissant personne de côté.
Mr le ministre
Il y a un pagne qu’une Nana Benz avait nommé « le cerveau de Koffi Annan » à sa nomination comme Secrétaire général des Nations Unies. Je crois fermement que l’hospitalité et l’accueil sont sincère quand le patrimoine culturel d’un pays vous célèbre. Cette année une fille et petite-fille de Nana Benz a réédité un pagne de sa grand-mère d’il y a près de 50 ans et l’a appelé « Tous Peuples unis » en hommage aux 80 ans des Nations Unies. C’est le pagne que je porte aujourd’hui fièrement et qui a des motifs de personnes reliés par la tête, symboliquement par leurs esprits.
Excellence Monsieur le ministre,
Je saisis aussi cette occasion pour exprimer ma profonde gratitude à votre ministère pour le partenariat solide avec toutes les agences des Nations Unies, l’organisation très récente et réussie, du Lomé Peace and Security Forum où deux Représentants spéciaux du Secrétaire général ont participé en est un exemple palpable.
Je voudrais également reconnaître la constance de la politique étrangère du Togo. Le Togo a toujours été un fervent défenseur du multilatéralisme et de l’action des Nations Unies ce, il y a 65 ans déjà, alors que 80 nations réclamaient leur souveraineté et le Togo a participé à tous les débats.
Mais le Togo est aussi un grand défenseur de la paix et du dialogue sur le continent africain, du Sahel au Grand Lac en passant par le Tchad, le Libéria, et tant d’autres, ceci, en parfaite cohérence avec la Charte des Nations Unies.
Encore plus récemment, le Togo en tant que médiateur de l’Union africaine dans Les Grands Lacs a convié avec la France un sommet pour la paix et l’humanitaire auxquels encore ici deux Représentants spéciaux du Secrétaire général des Nations Unies ont été invités.
Dans ce monde divisé, où les clivages géopolitiques constituent en eux-mêmes une menace pour la paix et la sécurité de chaque pays et de tous, il est important de faire preuve de courage et de se placer toujours du bon côté de l’histoire.
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Les Nations Unies ont vu le jour dans les décombres de la Seconde Guerre mondiale, avec une mission claire : préserver les générations futures du fléau de la guerre, promouvoir les droits humains, et établir un ordre international basé sur des règles communes.
L’ONU a réussi à accomplir sa première grande mission : contribuer à résoudre des conflits meurtriers dans le monde et en Afrique je pourrai citer ceux de la Sierra Leone, du Libéria, du Mozambique, de la Côte d’Ivoire, du Burundi grâce à des missions de maintien et de consolidation de la paix.
Elle a aussi réussi à prévenir le chaos d’une troisième guerre mondiale et une
attaque nucléaire.
De plus, depuis 1945, l’ONU a réalisé des missions inimaginables à l’époque.
Chaque année, l’ONU fournit une aide alimentaire et humanitaire vitale à plus de 150 millions de personnes et soutient les Etats à protéger les réfugiés et les migrants.
Elle fournit des vaccins à 45 % des enfants du monde.
Et elle soutient les élections dans des dizaines de pays.
Elle est le pilier du droit international – un cadre de plus de 80 conventions et
traités couvrant tous les domaines, des mines antipersonnel à la biodiversité, des produits phytosanitaires à la liberté de la presse ou encore l’accès à l’eau potable.
Il y a 30 ans, à Beijing, à l’occasion de la Quatrième Conférence mondiale sur les
femmes ; plus de 30 000 militants et représentants de 189 pays s’étaient réunis grâce à l’ONU afin de débattre des mesures à prendre pour assurer l’égalité des genres. Ensemble, ils ont élaboré la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, qui reste à ce jour le programme le plus complet s’agissant de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes.
La proportion de femmes dans les parlements au monde a doublé depuis 1995.
Ici au Togo, une femme a été Présidente de l’assemblée nationale, une femme a été premier ministre.
L’instauration de la parité entre les sexes au sein du système des Nations Unies est devenue une priorité et a permis d’atteindre 44,2 pour cent du personnel professionnel et supérieur qui sont des femmes.
Aujourd’hui nous sommes 62 femmes à travers le monde représentant le Secrétaire général des Nations Unies.
Nous avons mis en place le Codex alimentarius qui élabore des normes alimentaires, des définitions et des critères applicables aux aliments, de contribuer à leur harmonisation et donc, notamment, de faciliter leur transformation, leur consommation sûre et le commerce international.
Lorsqu’une catastrophe survient, c’est l’ONU qui coordonne la réponse
humanitaire mondiale.
Ensemble, nous avons :
Contribué à la décolonisation de 80 nations, le Togo y ayant contribué en première ligne ;
Nous avons amorcé la régénération de la couche d’ozone ;
Et offert au monde la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Au cours de huit décennies certes tumultueuses, les Nations Unies se sont réinventées, prouvant que la coopération peut triompher, même dans les heures
les plus sombres de l’humanité.
Face à ces mutations, les Etats membres que vous représentez, nous ont clairement dit que l’ONU doit demeurer le phare de stabilité, mais aussi devenir le laboratoire de solutions novatrices.
L’ONU reste effectivement l’ultime dépositaire d’un corpus de valeurs et de normes que nous avons adoptées tous ensemble :
- La Charte des Nations Unies, qui place la paix et la coopération au cœur de nos relations tel qu’éloquemment décrit par le Président du Conseil dans sa vidéo projetée à New York lors de la célébration de l’adoption de la charte des Nations Unies.
- La Déclaration universelle des droits de l’homme, qui continue d’inspirer chaque mouvement de liberté, d’égalité et de justice.
- Les Objectifs de développement durable, qui incarnent une vision partagée
d’un avenir plus juste, plus inclusif et plus durable renouvelé à travers le Pacte pour l’avenir.
Dans un monde où d’aucuns s’interrogent sur la pertinence du multilatéralisme, l’ONU doit rappeler que la paix n’est jamais acquise, que les droits humains ne sont jamais garantis de façon définitive, et que la solidarité internationale n’est pas un luxe mais une nécessité.
Nous vivons une ère où les fractures – géopolitiques, économiques, technologiques, sociales – s’approfondissent. Le risque est grand de voir les nations se replier sur elles-mêmes, nous en avons fait l’expérience dans cette région d’Afrique de l’ouest.
Notre monde est entré dans une ère de changements profonds et rapides.
- L’espace démocratique se réduit.
- Les conflits s’intensifient.
- Et le climat mondial se dégrade.
Mais l’Assemblée générale des Nations Unies demeure le seul espace véritablement universel, où 193 États, même quand on s’inquiète qu’ils ne viendraient plus, continuent de se retrouver, sur un pied d’égalité pour dialoguer, confronter leurs visions, négocier des compromis, et parfois, éviter l’irréparable.
De l’Assemblée générale aux Conseils spécialisés, l’ONU incarne la conviction que
la coopération est toujours préférable à la confrontation, et que la diplomatie est
toujours plus féconde que le silence ou la violence.
L’ONU ne doit pas seulement être une enceinte de discussions.
Elle doit, comme je le disais plus tôt être un accélérateur de solutions. Et nous en avons la capacité.
Trois exemples peuvent illustrer cette capacité :
1. La lutte contre le changement climatique : L’Accord de Paris a été rendu possible par la plateforme multilatérale qu’est l’ONU. Aujourd’hui encore, elle soutient les États dans la transition énergétique et l’adaptation au changement climatique. Une armée ou un algorithme ne peut arrêter les températures qui grimpent. Toutes les nations ensemble, si !
2. La réponse aux crises sanitaires comme le VIH SIDA où nous avons accompli un travail remarquable qu’il nous faut consolider, ou encore la pandémie de COVID-19 qui a montré à quel point l’ONU, malgré ses limites, a joué un rôle vital de coordination, d’alerte et de solidarité mondiale. Aucun pays seul n’aurait pu y arriver. Toutes les nations ensemble, si !
3. Les réformes de la finance mondiale et de la gouvernance numérique : à travers les discussions en cours depuis Séville sur le financement du développement particulièrement en ce qui concerne les banques multilatérales et une gestion plus équitable de la dette surtout des pays les moins avancés. La signature de la Convention des Nations Unies contre la cybercriminalité – un traité mondial essentiel pour protéger les personnes dans le monde numérique et le premier traité de justice pénale depuis plus de vingt ans pour que le cyberespace soit un lieu sûr et sécurisé pour tous.
L’ONU offre donc un cadre unique pour penser les règles de demain, tous ensemble.
Excellences, mesdames et messieurs, chers diplomates,
Sans votre engagement, rien de tout cela n’est possible. Tout ce que je viens de décrire, des techniciens l’ont pensé, des diplomates l’ont négocié et adopté au sein des Nations Unies.
Vous êtes les architectes de la confiance, les médiateurs des divergences, les passeurs de compromis.
Dans ce monde où les vérités s’entrechoquent, où les récits s’opposent, la diplomatie reste l’art de bâtir des ponts, et les Nations Unies l’espace privilégié pour les ériger.
Vous avez la responsabilité de traduire en engagements concrets la vision d’un multilatéralisme renouvelé, capable d’inspirer les peuples, notamment les jeunes, qui cherchent à croire en la coopération internationale.
Mesdames et messieurs
Permettez-moi d’ajouter ici une réflexion sur le rôle central de l’Afrique et le travail que nous faisons avec ses institutions.
Trop souvent perçu comme périphérique, le continent est en réalité au cœur des solutions mondiales.
L’Afrique représente près d’un quart des États membres de l’ONU.
Elle concentre 60 % des terres arables inexploitées du monde, ce qui en fait un acteur décisif pour la sécurité alimentaire planétaire.
Sa jeunesse, la plus importante, l’une des plus dynamiques du monde, est sa force et un moteur d’innovation et de transformation unique.
À travers l’Agenda 2063 de l’Union africaine et l’Accord de libre-échange continental africain que les Nations Unies appuient, l’Afrique démontre que le multilatéralisme peut aussi se déployer à l’échelle régionale.
Pour l’ONU, soutenir l’Afrique n’est pas un acte de solidarité, c’est un investissement stratégique dans l’avenir de l’humanité, de notre humanité.
Au Togo, toutes les Nations Unies dont vous êtes membres ont montré cette coopération internationale en appuyant le Gouvernement togolais à atteindre des niveaux importants pour les ODD.
Les agences des Nations Unies de Lomé à Cinkassé ont travaillé main dans la main avec les autorités togolaises et la population par exemple :
- Dans la réduction de la pauvreté avec l’amélioration de l’Indice de Développement Humain (IDH) du Togo, atteignant (0,571) et passant ainsi dans la catégorie des pays à développement humain moyen.
- Dans le domaine de l’Éducation avec un taux net de 97.8% d’enfants enrôlés.
- Dans le domaine de la Santé avec par exemple 87% d’enfants vaccinés et l’opération zéro dose qui traque et mets à jours des enfants qui seraient passés entre les mailles du filet de la vaccination
- L’accès à l’énergie de près de 70 % désormais contre 50% il y a seulement 5 ans.
Nous vous remercions chers pays membres, chers partenaires pour votre appui constant, et votre engagement auprès des agences des Nations Unies.
Excellence M. le ministre,
Nous ne pouvons pas parler du rôle continu de l’ONU sans évoquer sa réforme. Le Secrétaire général, M. António Guterres, a rappelé un épisode méconnu : en 1946, un ouvrier new-yorkais du nom de Paul Antonio, chargé de fabriquer la première urne de vote du Conseil, y avait glissé un mot : « Puisse Dieu accompagner chaque membre de l’Organisation des Nations Unies et, grâce à vos efforts, apporter une paix durable à tous les peuples du monde ». « Ce billet nous rappelle pourquoi le Conseil de sécurité existe: pour les peuples ».
Depuis 80 ans, le Conseil de sécurité façonne l’ONU et le cours de l’histoire. Pilier de la paix et de la sécurité, il reflète encore la géopolitique de 1945. Il y a un peu plus d’un an, les États membres ont adopté le Pacte pour l’avenir – une feuille de route visant à adapter nos instances internationales aux réalités actuelles. Ce pacte inclut la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies afin que sa composition reflète un peu plus l’ordre mondial actuel. De même, le système de développement des Nations Unies doit devenir plus agile, plus proche des réalités locales, pour mettre en œuvre les Objectifs de développement durable et accompagner les transitions justes, vertes et
numériques. Réformer ne signifie pas renoncer. Cela veut dire adapter l’ONU à un monde nouveau, sans perdre l’essence de sa mission. Réinventer l’ONU, c’est aussi : Réinventer son langage, pour parler aux nouvelles générations y compris GenZ avec qui Mr le ministre Professeur Dussey a largement discuté dans une belle atmosphère lors du Lomé Peace Security Forum.
- Réinventer ses méthodes, pour inclure davantage les femmes, la société civile, le secteur privé, les collectivités locales, les personnes vivant en situation d’handicap.
- Réinventer ses structures, pour que chaque région du monde – et en particulier l’Afrique – soit pleinement représentée dans la gouvernance mondiale.
Excellences, chers collègues,
L’ONU a 80 ans cette année. Certains y voient une institution vieillissante. Moi, née près de 35 ans après sa naissance, j’y vois la preuve qu’une idée née de la volonté des peuples peut traverser les décennies, évoluer avec son temps, et continuer à incarner l’espérance. Le rôle continu des Nations Unies dans un monde en perpétuelle évolution, c’est précisément cela :
- Offrir une boussole quand les repères se brouillent,
- Offrir un espace de dialogue quand les fractures s’élargissent,
- Offrir des solutions quand les défis paraissent insurmontables.
Et pour cela, il faut une Afrique au cœur du multilatéralisme et une ONU réformée pour mieux refléter les réalités d’aujourd’hui et le Togo y joue déjà un rôle prépondérant.
Le billet d’Antonio dans l’urne il y a 80 ans, le pagne de Ayaba Yvette aujourd’hui sont l’espoir que les peuples portent en nous. Nous avons le devoir – en tant que diplomates, en tant que fonctionnaires internationaux, en tant que citoyens du monde – de renouveler ce contrat de solidarité universelle. C’est le prix à payer pour la paix, pour la dignité, pour la planète. Et cela en vaut le coût/coup.
Je vous remercie.