Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Régionale et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique

Prof. Robert Dussey

Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Régionale et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique​

Les ACP face au covid-19 : impacts et conduites à tenir dans la marche vers le post-Cotonou

Par Prof. Robert DUSSEY
Ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration africaine et des Togolais de l’Extérieur,  Togo
Négociateur en Chef de l’Organisation des États ACP pour le post-Cotonou

 

Le coronavirus, qui a mis le monde à l’arrêt pendant plusieurs semaines, nous interpelle, nous humains, et nous met face à certains questionnements d’ordre existentiel : où allons-nous d’un pas si rapide ? L’humanité va-t-elle à sa perte ou suit-elle sa propre destination ? Ces questionnements qui ne peuvent laisser indifférente la conscience humaine nous convainquent d’une chose : l’expérience humaine de la liberté dans l’Histoire, théâtre des contrastes, peut conduire au meilleur comme au pire. Quand le pire advient, il éprouve, mais constitue également une invitation de l’humanité à une réorientation de sa conduite existentielle. Les générations passent, mais l’humanité demeure et a un devoir de lucidité envers elle-même comme le coronavirus vient une fois encore de nous le rappeler.

Cette pandémie a eu raison des frontières nationales et continentales, et l’espace tricontinental ACP n’est pas à l’abri de sa sphère d’extension. Si l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique sont moins touchés par le covid-19, aussi bien en termes de contamination qu’en taux de mortalité, ce qui dément pour l’heure toutes les prédictions apocalyptiques, les impacts de la pandémie sur les trois régions de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) sont bien réels et doivent amener l’organisation à inventer une stratégie interne de riposte aux pandémies et à mettre l’humain et le social au socle des relations avec ses partenaires.

Les pays membres de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, en effet, par-delà les spécificités nationales et régionales, ont un trait caractéristique commun : la vulnérabilité. Il s’agit d’une vulnérabilité plurielle parce que multisectorielle. La crise du coronavirus met à rude épreuve des systèmes de santé très fragiles, sous pression les mécanismes de solidarité nationale et les économies très vulnérables. Plusieurs pays de l’organisation vivent déjà les impacts économiques de la crise. Les conséquences sont humainement coûteuses, socialement paralysantes et économiquement dangereuses. La croissance économique qui a permis à certains pays des ACP de se hisser au rang de pays à revenu intermédiaire est aujourd’hui fortement remise en cause. La crise économique que le covid-19 impose aux pays risque à terme de faire basculer une proportion encore plus importante de populations dans la « pauvreté objective » et d’amplifier pour ainsi dire le niveau des vulnérabilités dans les trois régions.

La condition commune de vulnérabilité des pays ACP, signe expressif d’une fragilité ontologique de fond qu’ils partagent avec toute la communauté humaine à l’échelle mondiale, les prédispose peu, aux niveaux opérationnel et économique, à la riposte contre la pandémie. Une action collective coordonnée à l’échelle ACP et une stratégie interne de riposte pourraient cependant soutenir la lutte à l’échelle des trois régions. Suivant le nouvel esprit de l’Accord de Georgetown récemment révisé et en fonction des défis actuels, à la fois sanitaires, sociaux, économiques, l’organisation doit intensifier sa coopération à l’échelle interne. La crise du coronavirus invite les ACP à explorer leurs possibilités de coopération interne d’où pourront sortir des actions innovantes. « Au commencement était l’action » (Goethe) et nous devons agir et surtout vite, le présent étant le moment du choix et de l’action (Simone de Beauvoir).

Bien heureusement, la coopération intra-ACP est à l’œuvre comme en témoignent les initiatives et mesures prises en avril dernier par l’organisation en collaboration avec l’Organisation panafricaine des agriculteurs (PAFO) contre les impacts socioéconomiques de la pandémie sur les systèmes de production agricole et de fournitures alimentaires des pays membres. Elle doit être amplifiée à l’échelle transcontinentale ACP et déboucher sur une stratégie commune et un plan solide ACP de riposte au coronavirus. La stratégie devra être motivée par un engagement commun face à un même défi dans un sentiment de commune appartenance et de communauté de destin et avoir un volet économique conséquent destiné à soutenir la reprise économique des États membres. Le Sommet virtuel extraordinaire intersession des Chefs d’État et de gouvernement tenu le 03 juin 2020 sur le thème « Transcender la pandémie de covid-19 : Renforcer la résilience par le biais de la solidarité mondiale » répond à cette exigence et a permis à l’organisation d’harmoniser à l’interne les stratégies et actions de riposte à la pandémie.

Les partenaires extérieurs appuient l’OEACP dans la riposte contre le coronavirus comme l’a déjà fait l’UE par l’entremise du Comité de liaison Europe-Afrique-Caraïbes-Pacifique et surtout l’initiative Team Europe avec une enveloppe de 20 milliards d’euros présentée le 8 avril dernier lors du lancement de la riposte européenne, au plan international, à la pandémie du coronavirus dans le cadre de la coopération. Le sommet extraordinaire du 03 juin a été également une occasion pour l’OEACP d’appeler à plus de solidarité mondiale en direction de ses États membres en cette période de crise. En temps de crise la solidarité sauve.

La nature ne faisant rien en vain (E. Kant) et coïncidence historique oblige, les pourparlers en cours dans le contexte actuel de crise sanitaire mondiale entre l’Organisation des États ACP et l’UE en vue de la redéfinition du cadre normatif et régulateur de leur partenariat dans sa phase post-Cotonou doivent clairement intégrer des clauses relatives aux pandémies et leurs conséquences socioéconomiques. L’humain, le social et la santé doivent être au cœur du post-Cotonou dans la mesure où nous savons bien que « la répartition des bénéfices des relations mondiales ne dépend pas seulement des politiques intérieures, mais aussi de toute une gamme d’accords internationaux de nature sociale, dont les traités de commerce, le droit des brevets, les initiatives mondiales en matière de santé, les dispositions internationales pour l’éducation, les moyens de faciliter la diffusion des technologies, les accords de modération écologique et environnementale, le traitement des dettes accumulées » (Amartya Sen, 2012).

L’ambition partagée et clairement affirmée des États ACP et de l’UE de mettre le partenariat en cohérence avec la réalité du monde et les enjeux nouveaux liés au progrès humain fait que nous ne pouvons pas aller à la signature d’un nouvel accord de coopération sans nous interroger sur les conséquences et les implications du covid-19 pour le partenariat. En tant qu’action, les négociations ont lieu dans un contexte de coronavirus qu’elles ne peuvent ignorer. Toute action, dit Edgar Morin, entre  dans le « jeu des inter-rétro-actions » du contexte où elle a lieu et porte les empreintes du contexte. L’interrogation sur les implications du covid-19 pour le partenariat OEACP-UE n’est pas sans intérêt pour l’avenir du partenariat. Sous-estimer les implications du covid-19 pour le partenariat OEACP-UE dans le processus des négociations traduirait un manque d’imagination en contradiction avec les ambitions des deux parties liées au progrès humain. La crise du coronavirus devient in fine un facteur qui nous oblige à faire évoluer le partenariat OEACP-UE et ceci dans le sens de l’histoire.

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