Article écrit par Prof Robert DUSSEY
La nécessité d’un 9ᵉ Congrès Panafricain à Lomé, Togo, s’est imposée à l’Afrique pour plusieurs raisons. Parmi elles, le besoin de mettre fin au paradoxe entre la volonté clairement exprimée, au niveau institutionnel et national, par l’Union africaine d’impliquer davantage les diasporas dans le développement du continent, et le sentiment d’abandon ressenti par plusieurs Afro-descendants.
Certains Afro-descendants nourrissent du ressentiment envers l’Afrique en raison du manque d’engagement du continent à leur égard. Se revendiquant Africains, ils s’attendent souvent à ce que l’Afrique s’intéresse à leur sort, où qu’ils se trouvent dans le monde. L’attitude discrète de l’Afrique sur des sujets tels que la mémoire de l’esclavage, le racisme anti-Afro-descendant, les discriminations et les réparations choque une partie des descendants africains. Il était donc essentiel de surmonter cet état de relations froides entre l’Afrique et ces Afro-descendants, tout en créant un cadre de réflexion commune sur les demandes de retour en Afrique formulées par d’autres Afro-descendants.
Le Congrès Panafricain, en tant que forum périodique de rassemblement et de retrouvailles pour le monde africain, constituait le cadre idéal, d’où la décision d’organiser un 9ᵉ Congrès Panafricain. L’un des principaux objectifs de ce 9ᵉ Congrès, qui se tiendra à Lomé, est de réaffirmer la solidarité entre l’Afrique et sa diaspora. Notre organisation continentale définit cette diaspora comme étant « les populations d’origine africaine vivant en dehors du continent, quelle que soit leur citoyenneté ou nationalité, et qui sont disposées à contribuer au développement du continent et à la construction de l’Union africaine ». L’intérêt de cette définition adoptée par l’Union africaine réside dans le fait qu’elle permet d’inclure aussi bien les ressortissants des pays africains vivant en dehors du continent que les Afro-descendants, où qu’ils se trouvent dans le monde.
Pendant longtemps, la diaspora africaine, dans sa double dimension, a été négligée et marginalisée dans les questions de développement du continent. Cependant, une prise de conscience progressive a émergé quant au rôle positif que peuvent jouer les diasporas africaines et les Afro-descendants dans une Afrique en quête de renaissance. Aujourd’hui, il n’existe pratiquement aucun pays africain qui ne manifeste un intérêt avéré pour ses diasporas. Au Togo, par exemple, une politique spécifique leur est dédiée.
L’Union africaine a reconnu la diaspora africaine comme la sixième région du continent. Les États africains ont, sans aucun doute, compris l’importance de revitaliser leurs relations avec les diasporas et les peuples d’ascendance africaine. C’est dans cette optique que l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement de l’UA a proclamé, lors de sa 34ᵉ session ordinaire tenue les 6 et 7 février 2021 à Addis-Abeba, en Éthiopie, la décennie 2021-2031 comme étant la « Décennie des Racines Africaines et de la Diaspora Africaine ».
Il est donc urgent de revitaliser les relations entre les communautés africaines. Le 9ᵉ Congrès Panafricain a pour vocation de répondre à ce besoin et de renforcer les liens entre le continent africain et les Africains de la diaspora, au sens large du terme.
Cette question de la redynamisation des relations avec la diaspora et les Afro-descendants a été au cœur de la conférence régionale tenue au Brésil du 29 au 31 août 2024, faisant suite aux pré-conférences régionales de Pretoria (Afrique du Sud), Bamako (Mali), Rabat (Maroc), Brazzaville (Congo) et Dar-es-Salaam (Tanzanie). Le panafricanisme étant né au sein des cercles afro-descendants américains, il est inconcevable de poursuivre le mouvement au XXIᵉ siècle sans leur participation active.
Fondamentalement, le moteur du panafricanisme réside dans la solidarité entre les différentes composantes de la famille africaine à travers le monde. Dans le cadre du panafricanisme, « l’Afrique, les Africains et les descendants d’Africains à l’étranger » sont considérés « comme un tout unifié visant à régénérer et à unifier l’Afrique, ainsi qu’à favoriser un esprit de solidarité entre les populations du monde africain ».
Autrement dit, la dispersion des populations d’ascendance africaine à travers le monde, conséquence de la traite transatlantique des esclaves, a imposé à la communauté africaine un devoir d’unité globale. Ce devoir, dont les racines remontent à la fin du XIXᵉ siècle, s’est concrétisé par la tenue de la première Conférence Panafricaine en 1900 à Londres, sous l’initiative de l’Afro-Trinidadien Henry Sylvester-Williams, ainsi que par l’organisation de plusieurs congrès successifs.
Les relations entre l’Afrique et les Afro-descendants se sont refroidies en raison de la distance et du manque de travail de mémoire commun. Le Congrès de Lomé offrira une occasion précieuse aux Africains et aux descendants d’Africains de collaborer à la reconstruction de ces liens. Cet effort de réconciliation facilitera également la démarche des Afro-descendants intéressés par le mouvement « Retour en Afrique », leur permettant ainsi de redécouvrir les pays et les familles d’origine de leurs ancêtres. Le chemin du retour pour les Afro-descendants est complexe et nécessite un travail de reconstitution et de reconstruction. L’une des résolutions majeures du Congrès Panafricain de Lomé sera la mise en place, à l’échelle continentale, de mesures visant à faciliter le retour en Afrique pour ceux qui le souhaitent, dans le cadre de la promotion de la citoyenneté africaine.
Le 9ᵉ Congrès Panafricain ne sera pas seulement un moment de solidarité intra-africaine ancré dans une perspective historique. Il représentera aussi une opportunité d’envisager l’avenir ensemble, dans un cadre panafricaniste renouvelé. Cet avenir doit être construit collectivement, avec pour ambition de positionner l’Afrique comme un acteur clé sur la scène mondiale au XXIᵉ siècle. C’est en réaffirmant leur unité et leur solidarité que l’Afrique et sa diaspora seront en mesure de relever les défis de demain.
En tant que rencontre de fraternité et de solidarité, le 9ᵉ Congrès Panafricain mobilisera plusieurs catégories d’acteurs du monde africain, notamment des représentants des États africains, de la Commission de l’Union africaine, des communautés économiques régionales, des États d’Amérique latine et des Caraïbes, des organisations de la diaspora africaine, des organisations d’Afro-descendants, ainsi que des groupes cibles issus d’Afrique, de la diaspora et des communautés afro-descendantes. Parmi ces groupes figurent des intellectuels, des scientifiques, des acteurs du monde artistique, sportif, culturel et médiatique, des jeunes, des femmes, des leaders d’opinion, des organisations professionnelles, des prêtres et prêtresses de la religion vaudou, ainsi que des entrepreneurs de tout le continent.
Toutes ces catégories d’acteurs attendues à Lomé examineront de près les grandes thématiques inscrites à l’ordre du jour du congrès. Parmi les enjeux majeurs qui seront au cœur des débats figurent le travail de mémoire, les réparations et la réforme des institutions multilatérales.