L’auteur : PROF. ROBERT DUSSEY
Lomé, capitale du Togo, accueillera dans les prochains mois le 9e Congrès panafricain. Cet événement hautement significatif pour le monde africain et les afrodescendants, qui s’inscrit dans la mise en œuvre de l’Agenda 2021-2031 de la « Décennie des racines africaines et de la diaspora africaine » de l’Union africaine, est le quatrième du genre sur le continent après les congrès de Dar-es-Salam (1974), Kampala (1994) et Johannesburg (2014). Cette appropriation continentale du Congrès panafricain comme institution réunissant périodiquement la communauté africaine, après que les cinq premières éditions se soient tenues hors des terres africaines, se justifie par les visées émancipatrices et universalistes du mouvement panafricain qui, dès la fin du XIXe siècle et surtout au XXe siècle, a lutté aux côtés des mouvements de libération nationale anticoloniaux africains pour libérer toute une partie de l’humanité de l’impérialisme colonial. En outre, elle traduit l’intérêt du continent pour le panafricanisme, à la fois pour sa force mobilisatrice face aux défis de l’émancipation et pour son pouvoir unificateur dans un cadre de solidarité fraternelle. Selon les mots de Georges Padmore, « l’idée du panafricanisme est apparue d’abord et avant tout comme une manifestation de solidarité fraternelle entre les Africains et les peuples d’ascendance africaine ».
Le panafricanisme met l’accent sur la solidarité entre les nations africaines pour contribuer à transcender les divisions héritées de la colonisation, et entre les Africains et les Afro-descendants pour reconnecter l’Afrique et sa diaspora. Il permet à la communauté africaine d’être perçue comme une unité, malgré sa diversité et sa dispersion à travers le monde. Au XXIe siècle, le panafricanisme présente une série de défis dans un contexte où l’Afrique entend s’émanciper de toute tutelle étrangère, se débarrasser de toute forme de domination extérieure et agir, conformément à l’aspiration 7 de l’Agenda 2063 de l’UA et à la vision de l’Alliance politique africaine, « en tant qu’acteur et partenaire fort, uni et influent sur la scène mondiale ».
L’objectif de cet article est de mettre en lumière l’un des enjeux majeurs du 9e Congrès panafricain de Lomé, sur le thème général « Renouveler le panafricanisme et le rôle de l’Afrique dans la réforme des institutions multilatérales : mobiliser des ressources et se réinventer pour l’action ». Cet enjeu, qui revêt une importance primordiale, est la réaffirmation de la valeur du panafricanisme pour assurer la continuité historique du mouvement.
L’histoire du panafricanisme est en effet un récit riche et varié dont les enjeux ont évolué au fil du temps et de l’espace. Dès ses débuts dans les cercles intellectuels afro-américains, le panafricanisme s’est voulu et affirmé comme un mouvement d’émancipation des communautés africaines de la domination et des formes d’injustice historique. Il a d’abord incarné l’opposition à l’esclavage et aux discriminations envers les communautés africaines au nom de l’idéal d’égale dignité humaine et de l’idéal de justice, l’enjeu étant alors de déconstruire et de saper les fondements des idéologies raciales.
Le panafricanisme s’est ensuite impliqué dans la question de l’administration des peuples africains sous domination coloniale, puis dans les luttes de libération décoloniales entre les années cinquante et soixante. Avec de grandes figures africaines comme Kwame Nkrumah, Modibo Keïta, Gamal Abdel Nasser, Julius Nyerere, Haile Selassie ou Thomas Sankara, le panafricanisme était synonyme d’un effort de réappropriation de soi à l’échelle africaine et d’un anti-impérialisme censé libérer du néocolonialisme. Le regain d’intérêt actuel pour le mouvement suffit à prouver la relation historiquement consubstantielle entre luttes de libération et panafricanisme dans les milieux africains et afrodescendants.
Le Congrès panafricain de Lomé réaffirmera la valeur paradigmatique du panafricanisme. Tout l’intérêt du panafricanisme pour l’Afrique du XXIe siècle réside dans la prise de conscience renouvelée que c’est seulement en étant unie que l’Afrique peut véritablement prendre part à la gouvernance mondiale, comme l’a déjà souligné la première conférence ministérielle de l’Alliance politique africaine en mai 2023. Le panafricanisme se renouvelle en phase avec la vitalité nouvelle de notre époque, et offre l’opportunité de porter les grandes causes de l’Afrique sur la scène internationale dans un ordre rapproché. Le panafricanisme peut encore jouer aujourd’hui le rôle qu’il a joué hier dans l’accompagnement des mouvements de libération nationale. La transformation du mouvement en mouvement populaire est un élément essentiel sur lequel nous devons capitaliser pour répondre aux préoccupations actuelles de l’Afrique en termes de dignité, de liberté, de souveraineté, d’indépendance, de respect et de représentativité dans l’entente des continents et sur la scène internationale.
Le contexte de notre monde est celui du triomphe d’une rationalité instrumentale prédatrice et d’une mondialisation qui déstabilise l’Afrique et les communautés africaines. Pour y parvenir, l’Afrique doit s’affirmer comme le centre de son propre mouvement, se mettant en position de refuser d’être réduite à une entité purement instrumentale. Le panafricanisme fournit pour cela le cadre idéologique et opérationnel indispensable, car une Afrique unie, parlant d’une seule voix et agissant en conséquence dans un esprit d’unité, ne peut que déjouer les pièges de la subordination d’où qu’ils viennent sur la scène internationale.
En réaffirmant la valeur du panafricanisme et en réunissant les communautés africaines à Lomé, le IXe Congrès panafricain de Lomé contribue à assurer la continuité historique du mouvement. Les racines du panafricanisme remontent au XIXe siècle. Le mouvement s’est formé et consolidé, et a traversé le XXe siècle, avec des moments d’affaiblissement et des moments d’extrême vitalité. La tenue du 9e Congrès est une occasion de faire entrer le mouvement panafricaniste dans le présent et de le mettre aux portes de l’avenir. Il est dans l’intérêt du monde africain de ne pas laisser mourir le panafricanisme et le Congrès de Lomé nous permettra de répondre à cet impératif.
Le 9ème Congrès permettra aux États, aux peuples et aux Afrodescendants africains d’assurer la continuité historique du mouvement du panafricanisme.