Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Africaine et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique

Prof. Robert Dussey

Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Africaine et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique​

L’Eurafrique peut peser sur l’ordre du monde

Louis Michel (photo), l’ancien Commissaire européen au Développement, aujourd’hui député européen, était l’invité jeudi soir d’une conférence organisée par le Rotary Club* de  la ville de Jodoigne (50km de Bruxelles), dont il fut le Bourgmestre. Etaient présents, Gilbert Bawara, le ministre de l’Administration territoriale, et Félix Kodjo Sagbo, l’ambassadeur du Togo au Benelux.

Louis Michel a évoqué avec lucidité l’avenir du partenariat euro-africain. Depuis 10 ans l’Afrique a connu une croissance spectaculaire, supérieure à 5% en moyenne. Si les matières premières représentent 1/3 de cette nouvelle expansion, d’autres secteurs comme les télécommunications, la finance, les infrastructures et la grande consommation tirent également cette croissance, a-t-il expliqué.

Depuis dix ans l’Afrique a connu une baisse de la conflictualité avec une forte chute des coups d’Etats (6 entre 2000 et 2010 contre une moyenne de 20 pour chaque décennie depuis les indépendances).

Pour Louis Michel, l’Afrique et l’Europe, plus que tout autre acteur international, ont une communauté de destin forgée dans une histoire et une relation d’interdépendance. Il appartient aujourd’hui aux deux continents de développer une relation de strict partenariat, égal en droits et en devoirs.

L’élu européen en a profité pour rendre un hommage appuyé au président Faure Gnassingbé :  ‘Le président agit pour faire de son pays un Etat épanoui, démocratique, réconcilié, respectueux des droits de l’homme et épris de paix et de liberté. Je suis profondément heureux de constater, à chacun de mes déplacements au Togo, les progrès remarquables que ce pays réalise pour réintégrer intégralement la communauté internationale’.

* le Rotary Club de Jodoigne ambitionne de fournir une assistance au Canton de Nayéga (Nord du Togo). Le projet porte sur la fourniture de matériels scolaires à 11 écoles et la construction de forages. Montant total : 50.000 euros

Verbatim de la conférence de Louis Michel

L’Afrique et l’Europe, plus que tout autre acteur international, ont une communauté de destin forgée dans une histoire et une relation d’interdépendance. Il appartient aujourd’hui à nos deux continents de développer une relation de strict partenariat, égal en droits et en devoirs  Il est plus que temps de construire ce que j’appelle «l’indispensable alliance», pour faire face ensemble aux défis du XXIème siècle.

1. L’AFRIQUE AU CENTRE DES ENJEUX

(Enjeux économique)

La globalisation croissante de l’économie se traduit directement par la volonté plus déterminée que jamais des puissances économiques, traditionnelles et émergentes, d’accéder aux formidables ressources du continent africain afin de poursuivre leur expansion économique et de nourrir, au travers de cette expansion économique, leur puissance politique.

L’Afrique joue un rôle-clé dans la nouvelle géopolitique de l’énergie. Avec près de 12 % des réserves mondiales de pétrole, l’Afrique devient un enjeu stratégique dans la course aux gisements mais aussi dans la diversification des sources d’approvisionnement.

Au-delà de cela,  le continent recèle aussi les plus gros gisements de métaux de base et minéraux rares qui alimentent la croissance industrielle mais aussi l’essor des nouvelles technologies (90 % des réserves mondiales de platine, de cobalt et de chrome; 60 % des réserves mondiales de manganèse et de coltane). L’Afrique se trouve ainsi au centre de la nouvelle géopolitique des ressources minières.

(Enjeux sécuritaires)

Qu’il s’agisse du terrorisme fondamentaliste, de la prolifération nucléaire et des trafics illégaux en tout genre, ou des États déliquescents, porteurs de menaces pour la paix et la stabilité, l’Afrique est un des théâtres de la mondialisation des défis stratégiques et de sécurité.(ex: le Sahel, le Mali, la RCA, le Soudan, la Somalie, la Corne de l’Afrique)

Cette situation est liée au défi majeur de la pauvreté auquel elle doit faire face.

Sur plus de 800 millions d’habitants, l’Afrique compte 400 millions de personnes vivant avec moins d’un euro par jour. La plupart des pays africains ont les indices de développement humain (espérance de vie, revenu, alphabétisation, accès à la santé) parmi les plus bas du monde.  La lutte contre la pauvreté en Afrique mobilise la communauté internationale comme jamais, qu’il s’agisse de l’Union européenne, premier donateur mondial (60%), des Nations Unies, du G8, du G 20 ou de toute une série de donateurs majeurs.

(Enjeux de puissance)

L’Afrique devient le terrain d’un nouveau «Grand jeu» entre les puissances qui façonnent la géopolitique mondiale, mettant au coude à coude les États-Unis, la Chine, Israël, le Japon, la Turquie ou l’Inde pour n’en citer que les principales.

La Chine en est l’exemple le plus frappant.

Sa politique extérieure a subi une transformation remarquable au cours de ces quinze dernières années. En termes de puissance et d’influence sur la scène internationale, les ambitions chinoises ont augmenté au fur et à mesure de l’augmentation fulgurante de la demande en ressources, en matières premières et en marchés d’exportation.  En poursuivant ses objectifs, la Chine a très vite vu l’intérêt stratégique d’une Afrique partenaire.

Il est du droit le plus stricte pour l’Afrique de mettre en concurrence des offres de partenariats. Et les Européens doivent définitivement savoir et admettre que l’Afrique n’est plus une chasse gardée.

Toutefois, cette forme de bilatéralisme économique avec la Chine est dangereuse à plus d’un titre:

– Un risque de réendettement au moment où la Communauté internationale fait les plus grands efforts pour réduire, voire supprimer la dette des PED (BM-FMI)

– La malédiction des ressources,

Pour ma part, je suis favorable à la rédaction d’un code d’éthique contraignant par secteur d’activités qui définirait des règles pour les entreprises et les investisseurs qui y souscriraient.

En contrepartie, les entreprises bénéficieraient d’un label éthique et de la sécurité juridique des autorités des pays partenaires.

Je suis persuadé que si on combinait des dons, des subventions-intérêts du privé et du public, on serait capable d’offrir un produit plus attractif que les Chinois.

2. L’Afrique à la recherche de sa puissance : entre OPPORTUNITES et DEFIS

L’Afrique cherche à s’affirmer comme une force internationale qui compte et qui commence enfin à s’organiser. L’Union africaine, qui compte aujourd’hui 54 Etats, devient le cadre politique de gouvernance continentale. Ses priorités n’ont plus seulement trait aux problèmes internes à l’Afrique mais aussi aux grands défis globaux du XXIe siècle comme le changement climatique, l’énergie, les révolutions technologiques ou bien les phénomènes migratoires.

Sur le plan économique, l’Afrique vit désormais à l’heure de la mondialisation. Malgré les progrès économiques observés ces dernières années, l’économie africaine reste très vulnérable aux chocs exogènes, comme en témoignent les crises financière, alimentaire et énergétique récentes.

Toutefois, on assiste à l’émergence de chef d’Etats comme le Président du Togo, M. Faure Gnassingbé, de gouvernement et de partis ouvertement libéraux (Macky Sall, Alassane Ouattara, …), ouvertement en faveur de l’économie de marché.

Pauvreté et mauvaise gouvernance sont interdépendantes.

Le défi majeur qui se pose à l’Afrique est celui de la gouvernance, tant sur le plan politique  qu’économique.

L’économie de marché est sans nul doute, le  système le plus performent pour créer de la croissance et de la richesse. Mais ce système économique n’est pas spontanément vertueux.  Il doit se déployer dans le cadre d’un état régalien, structuré, organisé qui l’accompagne, l’humanise et garantit un partage équitable  par une fiscalité directement fondée sur la capacité contributive des citoyens et par le financement de services vitaux sans lesquels il n’y a pas de dignité possible.

Ceci m’amène à vous donner ma conception du rôle de l’Etat qui a été traduit dans un Manifeste Panafricain libéral.

De mon point de vue, la mission fondamentale de l’Etat c’est de garantir une répartition équitable et juste de ce que produit le travail des hommes.

Cette redistribution ne peut se faire qu’au travers d’institutions publiques impartiales.

L’accès impartial à l’éducation, l’accès impartial à la justice, l’accès impartial à l’administration, l’accès impartial à la santé doit créer les conditions de l’égalité des chances et de la justice sociale qui seules peuvent assurer la cohésion économique, politique et sociale d’un pays et d’un peuple.

Sans cette cohésion, il est illusoire de compter sur l’engagement, le volontarisme, la contribution agissante des citoyens. Ce qui est fondamental à mes yeux, c’est le sentiment que tout citoyen doit se sentir traité avec équité, justice, respect, avec dignité.

La liberté par la démocratie, la prospérité par l’esprit d’entreprendre et la solidarité par le partage, tel est mon credo pour l’Afrique comme pour l’Europe.

Une économie de marché « domestiquée » par la démocratie politique qui en organise la redistribution au travers du débat parlementaire contradictoire et qui fabrique en temps réel du droit, de la liberté et de la responsabilité.

3.  L’EUROPE et l’Afrique

Dans ce Grand jeu africain, où l’Europe se situe‑t‑elle?

L’Europe est dans une position unique vis-à-vis de l’Afrique, bien sûr de par sa géographie mais aussi de par l’Histoire qui nous a légué un héritage commun aux multiples facettes: ce sont les langues en partage, c’est la mémoire commune et souvent douloureuse de la période coloniale; ce sont aussi les échanges culturels, avec notamment le rôle des diasporas qui ont tissé des liens humains et personnels entre les deux continents.

Sur le plan économique, l’Europe est non seulement le plus grand partenaire commercial de l’Afrique, mais surtout le plus grand importateur de produits agricoles africains. Elle représente 68 % de la valeur des investissements étrangers directs en Afrique. Mais ce qui renforce ces liens, de façon unique également, c’est la constance avec laquelle l’Europe a été, depuis 40 ans, le premier donateur d’aide publique au développement (Mais aide fatale).

L’Europe est certainement le partenaire le plus précieux pour l’Afrique et l’Afrique est indiscutablement le partenaire le plus prometteur pour l’Europe.

Sans cette alliance, c’est la mondialisation subie qui nous attend.

Ensemble, Africains et Européens ont la capacité d’adapter la mondialisation à un modèle plus conforme aux valeurs qu’ils partagent, et plus respectueux de leurs identités respectives.

C’est partant de ce constat que la Commission européenne a travaillé avec l’Union Africaine pour refonder le partenariat entre l’Europe et l’Afrique.

Le Sommet de Lisbonne de décembre 2007 a marqué le début de cette phase nouvelle dans les relations entre l’Afrique et l’Union Européenne.

La nature de cette nouvelle relation doit être de nature fondamentalement politique. Dans ce dialogue, il faut aborder sans tabous les questions qui nous rassemblent tout comme celles qui nous divisent. Les APE, la situation au Darfour, l’énergie nucléaire, les migrations,…ou encore la Cour pénale internationale.  Ce sont des sujets difficiles mais nous ne devons pas avoir peur des frictions (ex. APE).

Au sommet de Tripoli en décembre 2010, les Chefs d’Etats et de Gouvernement ont renouvelé leur engagement pour les années à venir.

Mes chers amis,

L’aide publique au développement n’est en aucun cas une «fin en soi». Seule la croissance, parce qu’elle est productrice de richesse, permet de lutter efficacement et durablement contre la pauvreté.

L’aide au développement doit être un moyen d’appuyer les stratégies de développement des pays africains, non de leur imposer notre charité qui est source de déresponsabilisation.

En 2012, l’UE (Etats membres et institutions confondus) a consacré, selon la Commission européenne, 55,2 milliards d’euros à l’aide publique au développement (APD). Un chiffre en constante diminution depuis 2010, et qui représente 0,43% du revenu national brut (RNB) des Etats membres, loin de l’objectif de 0,7 % d’ici 2015.  Or rien ne justifie une diminution de l’aide publique au développement.

Les besoins financiers pour faire face aux défis qui se posent aux pays pauvres sont considérables et bien supérieurs aux perspectives de croissance de l’aide publique au développement (APD).

Il faut trouver des sources de financement complémentaires. Il faut donc explorer d’autres voies. Il faut combiner l’aide publique au développement (APD) avec une politique économique à long terme visant à créer les conditions pour développer le secteur privé et faire entrer l’Afrique dans le marché mondial.  N’oublions pas qu’1% de croissance équivaut à 2 ½ l’aide publique au développement.

Il est indispensable d’aider les PED à la création de PME. Les progrès ne deviennent durables que lorsque les acteurs de terrain en deviennent les principaux maîtres d’œuvre. Les petits progrès accomplis au niveau micro économique, ont en général un impact sur la grande majorité de la population. Il est crucial de reconsidérer l’importance de l’initiative individuelle et de l’entreprise privée dans la coopération UE-ACP.

Des politiques d’accès au crédit, au transfert de technologie, à la formation professionnelle et au management doivent devenir des priorités absolues.

Il faut également travailler à l’amélioration du climat des affaires, en soutenant un Etat fondé sur la loi garantissant la justice aux entreprises, un cadre législatif impartial, un contexte macroéconomique qui favorise l’initiative privée pour créer de la croissance.

Enfin, il faut aider nos amis africains à se doter d’un système fiscal fondé sur la capacité contributive des citoyens et sur une juste rétribution d’une exploitation transparente des ressources naturelles

Je propose que l’Europe s’aligne sur le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act.

Cette loi américaine à vocation à réformer en profondeur les règles régissant la fourniture de services financiers en imposant notamment aux sociétés cotées à Wall street de publier un certain nombre d’informations. Ainsi les compagnies pétrolières, gazières et minières ont l’obligation de révéler publiquement leurs revenus ainsi que les paiements fiscaux qu’elles réalisent et le contenu des contrats.

CONCLUSION

Il appartient désormais à chacun, Européens ou Africains, de  saisir l’opportunité de se hisser à la hauteur des enjeux historiques qui se présentent à eux et de développer cette indispensable alliance entre deux continents frères unis par une communauté de destin.

Mesdames et messieurs, j’ai tenté de redéfinir une relation privilégiée et de nature nouvelles entre l’Afrique et l’Europe.

Les Européens et les Africains sont des alliés naturels. Une alliance indispensable, forte et sincère entre ces deux grands et beaux continents, peut façonner un avenir de paix et de prospérité.

Ensemble, nous pouvons peser de manière décisive sur un nouvel ordre planétaire plus juste, plus solidaire et plus libre.

Je suis convaincu que l’Eurafrique pourrait peser sur l’ordre du monde pour le meilleur.

Publié le 17/11/2013

Source : http://www.republicoftogo.com/Toutes-les-rubriques/Diplomatie/L-Eurafrique-peut-peser-sur-l-ordre-du-monde

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