âJâai priĂ© le prĂ©sident François Hollande de se faire lâavocat de la Centrafrique, de se faire lâavocat de lâAfrique, de façon Ă ce que ce pays ne tombe pas dans lâoubli. Jâai dit quâĂ mon avis, si la France ne prend pas le leadership, ne mobilise pas la communautĂ© internationale, nous risquons dâavoir un sanctuaire pour les terroristes en RCA. Et cela nous ne pouvons pas lâaccepterâ. Voici ce que dĂ©clarait le prĂ©sident du Togo, Faure GnassingbĂ©, lors dâune rencontre le 15 novembre dernier Ă Paris avec son homologue français.
En Ă©cho, le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius (photo), publie lundi une tribune consacrĂ©e Ă la situation dans ce pays dâAfrique centrale.
La France, lâAfrique doivent intervenir. âNous ne voulons pas, demain, payer et subir le prix, beaucoup plus lourd, de lâinactionâ, Ă©crit M. Fabius.
Voici la tribune du ministre français des Affaires étrangÚres
Au cours de sa jeune histoire, la RĂ©publique centrafricaine a connu dĂ©jĂ bien des heures sombres. Le pays affronte aujourdâhui sa pire crise. Dans cet Ătat effondrĂ©, des pans entiers du territoire sont livrĂ©s Ă la violence de bandes armĂ©es. Pillages, recrutement dâenfants- soldats, villages brĂ»lĂ©s, viols, exĂ©cutions sommaires : les populations civiles paient le prix fort. DĂ©jĂ un habitant sur dix a dĂ» fuir son foyer. La mortalitĂ© infantile, trĂšs Ă©levĂ©e, sâaggrave encore. Lâimpact de lâinstabilitĂ© sur lâagriculture vivriĂšre annonce une possible crise alimentaire. Le systĂšme sanitaire est dĂ©labrĂ© avec, localement, lâamorce dâĂ©pidĂ©mies et seulement sept chirurgiens pour cinq millions dâhabitants. Le climat de peur se double de la menace imminente dâune catastrophe humanitaire.
Dans ce territoire potentiellement riche et terriblement pauvre, oĂč existait traditionnellement une certaine harmonie entre groupes et croyants des diverses confessions, voilĂ que des tensions intercommunautaires et interreligieuses se dĂ©veloppent. LâhostilitĂ© entre chrĂ©tiens et musulmans est dĂ©jĂ Ă lâorigine de nombreux morts. La spirale de haine opposant les habitants entre eux menace : il faut Ă tout prix lâĂ©viter.
Sâajoute Ă ce tableau dramatique le risque de dĂ©stabilisation de toute la rĂ©gion. La RĂ©publique « centrafricaine » ne sâappelle pas ainsi par hasard : elle est au carrefour notamment de la zone des Grands Lacs, des deux Soudans, du Cameroun, du Tchad, du Congo. Lâensemble du continent aurait Ă perdre si elle devenait le sanctuaire de groupes armĂ©s criminels ou terroristes. LâexpĂ©rience nous apprend combien il est dangereux de laisser ainsi se dĂ©velopper des « zones grises », refuges de trafics et de groupes terroristes venus dâautres pays africains ou dâautres rĂ©gions du monde.
La gravitĂ© de cette situation a Ă©tĂ© soulignĂ©e dĂšs septembre par le prĂ©sident français devant lâOrganisation des Nations unies. Les pays du centre de lâAfrique, lâUnion africaine sont alertĂ©s et mobilisĂ©s. Ni lâindiffĂ©rence, ni lâinaction ne sont des options. Que faire ?
Dâabord susciter lâengagement des Centrafricains eux-mĂȘmes. Les autoritĂ©s locales, mĂȘme transitoires, portent la responsabilitĂ© dâassurer lâordre public, de protĂ©ger les populations civiles et de lutter contre lâimpunitĂ©. Elles doivent remplir leurs engagements : conduire la transition politique, organiser des Ă©lections au plus tard dĂ©but 2015 comme le prĂ©voient les accords internationaux. De leur cĂŽtĂ©, les acteurs de la sociĂ©tĂ© civile centrafricaine, notamment les religieux, doivent continuer de se mobiliser en faveur de la paix civile. Ils ont besoin dâĂȘtre soutenus, ainsi que nous lâavons soulignĂ© avec la commissaire europĂ©enne aux Affaires humanitaires, Kristalina Georgieva, Ă lâoccasion de notre rĂ©cent dĂ©placement conjoint Ă Bangui.
Un engagement fort de la communautĂ© internationale est impĂ©ratif. Il passe par un soutien humanitaire immĂ©diat. LâUnion europĂ©enne et les Nations unies sây emploient. La France, Ă elle seule, consacre plusieurs millions dâeuros Ă des actions humanitaires dans les domaines de lâalimentation et de la santĂ©. Ces efforts doivent accompagner lâaction des organisations non gouvernementales, notamment centrafricaines, qui Ćuvrent avec courage en faveur des plus Ă©prouvĂ©s.
Mais lâamĂ©lioration de la situation humanitaire est Ă©videmment insĂ©parable du rĂ©tablissement prioritaire et urgent de la sĂ©curitĂ©. Tous les acteurs, politiques comme humanitaires, partagent ce constat. LâAfrique est en premiĂšre ligne et elle a commencĂ© Ă intervenir. Dâabord, les pays voisins et toute la rĂ©gion : en juillet, lâUnion africaine a dĂ©cidĂ© de dĂ©ployer une force africaine, la Mission internationale de soutien en Centrafrique (Misca), que la France soutient et soutiendra. La communautĂ© internationale doit accompagner la montĂ©e en puissance de cette force, dans tous les domaines, y compris en assurant son financement. La rĂ©solution 2121 du Conseil de sĂ©curitĂ© adoptĂ©e Ă lâunanimitĂ© le 10 octobre constitue une premiĂšre Ă©tape. Cette dynamique doit ĂȘtre amplifiĂ©e par un engagement collectif fort, Ă New York, Ă Bruxelles et Ă Addis-Abeba, de la part de tous les partenaires qui ont Ă cĆur le sort de ces millions de femmes, dâhommes et dâenfants. Le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies vient de faire rapport au Conseil de sĂ©curitĂ© sur les choix Ă faire. Une nouvelle rĂ©solution de lâOrganisation des Nations unies est imminente, tournĂ©e vers lâaction.
La France, avec lâUnion africaine, a fait de la mobilisation internationale en faveur de la RĂ©publique centrafricaine une prioritĂ©. Il sâagit, tout en Ă©vitant les erreurs du passĂ©, de prĂ©venir une situation dramatique et dâaccompagner les Centrafricains et leurs partenaires africains dans leurs efforts pour la RĂ©publique centrafricaine. Nous ne voulons pas, demain, payer et subir le prix, beaucoup plus lourd, de lâinaction. La France sera au rendez-vous. Dans le respect du droit et avec ses partenaires, notamment europĂ©ens, elle agira afin que, un an aprĂšs le dĂ©clenchement de la rĂ©bellion, la RĂ©publique centrafricaine puisse reprendre espoir.
Laurent Fabius
Publié le 25/11/2013