Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Africaine et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique

Prof. Robert Dussey

Ministre des Affaires Etrangères, de l'intégration Africaine et des Togolais de l'Extérieur - Togo
Négociateur en Chef du Groupe ACP pour le Post-Cotonou 2020 - Professeur de philosophie politique​

RELATIONS AFRIQUE-UE : Un mélange de fascination et de méfiance, Par Robert Dussey

Extrait du N°06 de METRO UN, Le magazine DES POINTS DE VUE SUR LES DÉBATS AUX NATIONS UNIES 

Par Robert Dussey, Ministre des Affaires Etrangères, de la Coopération et de l’Intégration Africaine du Togo

Les 5 et 6 juin prochains se dérouleront les Journées de Développement de l’Europe. Comme à chaque édition, cette grand-messe, dont le thème principal cette année sera « Les femmes et les filles au premier plan du développement durable : protéger, autonomiser, et investir », rassemblera les acteurs du développement pour discuter des principaux défis qui se posent au monde. Pour des raisons évidentes, l’Afrique devrait être au menu des discussions.

L’Europe et l’Afrique sont, en effet, deux continents que la géographie a rapprochés, mais qu’une histoire douloureuse a, d’une certaine façon, éloignés. La conséquence de cette histoire est que la relation entre les deux blocs a toujours été marquée par un mélange de fascination et de méfiance. Le sentiment d’un destin lié mais d’une alliance impossible prédomine. Le tollé suscité dans une partie de l’Afrique francophone suite à l’inauguration, le 9 mai dernier, de la « nouvelle Place de l’Europe » à Gorée, lieu emblématique de la traite négrière transatlantique, illustre à merveille la complexité de cette relation. 

Ce projet de rénovation d’un site historique, qui avait initialement été inauguré par l’ancien président de la Commission européenne, Romano Prodi, en 2003, a été financé en grande partie par l’Union européenne. Mais ce geste, qui se voulait d’amitié, a été jugé maladroit par les uns, et scandaleux par les autres. Cette relation de défiance ne peut plus durer, car le risque qu’elle fait peser sur les deux continents est désormais trop élevé. Malgré des taux de croissance nominaux flatteurs depuis une décennie, la pauvreté reste importante en Afrique. 

Les inégalités se creusent et la croissance démographique se poursuit. Dans les zones rurales, les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient. Ils causent famine et conflits, et poussent de nombreux jeunes désoeuvrés dans les bras des groupes terroristes qui pullulent désormais sur le continent et menacent la stabilité des États africains. Dans les zones urbaines, des milliers de jeunes, parfois diplômés, mais sous employés ou sans emploi, sont otages de systèmes politiques qui, pour toutes sortes de raisons, bonnes comme mauvaises, se révèlent incapables de leur offrir les conditions d’une vie meilleure. Sans surprise, ces jeunes africains prennent le chemin de l’exil européen, souvent au péril de leur vie. Le terrorisme, les conséquences du changement climatique, l’immigration clandestine, sont des défis majeurs pour l’Afrique, et par conséquent, pour l’Europe. 

Cette Europe est d’autant plus concernée par le destin de l’Afrique qu’elle y a depuis toujours des intérêts importants. Des intérêts dont la poursuite, légitime, la conduisent trop souvent à des alliances et des soutiens dont les conséquences sont néfastes aussi bien pour les populations africaines que, de plus en plus, pour les citoyens européens. C’est la raison pour laquelle il faut renouveler le logiciel de la relation Afrique-Europe. Côté européen, celle-ci s’est historiquement limitée à des liens institutionnels, à la promotion abstraite de grands principes démocratiques, et à la défense, parfois cynique, de positions commerciales. Il faut aujourd’hui établir des liens de confiance avec une jeunesse africaine plus informée, consciente des enjeux globaux et désireuse de prendre part aux affaires du monde. 

Le bilan de 30 ans de démocratie électorale en Afrique est décevant, car celle-ci a été implantée sur des États-nations fragiles. Peut-être est-il temps d’oeuvrer au renforcement de ces États-nations. Côté africain, presque cinq décennies après les Indépendances, il faut s’efforcer d’établir une relation de confiance avec l’Europe. Sur ce point, les diplomates africains ont un rôle éminent à jouer pour expliquer la vision africaine du monde à l’Europe, trouver des points de convergence, défendre des projets d’intérêts communs, et oeuvrer ensemble à l’avènement d’un monde plus stable, car plus juste.

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